lundi 23 février 2009

30 décembre 199*.

Le Chamois, Clairlieu, 00 heure 30.

Alain rejoignit le Chamois dans un état d’ébriété à la mesure de cette soirée initiée par un tête à tête houleux avec Luc et conclue dans une ambiance bon enfant. En attendant le retour d’Eichmann, la tablée s’était même lancée dans une partie de tarot à cinq ! Le Bourbon ingurgité à la va-vite dans le bureau acheva de le saouler. Le temps d’encaisser, il se réfugia dans sa loge surplombant la piste. L’arrivée d’une quinquagénaire élégante, aux traits austères, passa d’autant plus inaperçue qu’il luttait contre les avances du sommeil avec une telle mauvaise foi qu’il ne tarda pas à y succomber.
Klaam commanda un cocktail non alcoolisé. Aucune trace d’Alain… Elle commençait à trouver le temps long. Depuis le bar, elle épiait en toute quiétude les clients sur la piste de danse. Leurs facéties ne tardèrent pas à lui laisser l’impression nauséabonde de se mélanger à la plèbe. Brusquement, la coordination avec laquelle convergèrent vers l’entrée les regards mâles s’avéra trop unanime pour s’expliquer par le hasard ou l’appel du grand air.
Une Eurasienne dotée d’un sex-appeal au diapason de sa plastique avait fait son entrée. Soit qu’elle fît montre d’une distraction surprenante, soit qu’elle n’attachât aucune importance à son pouvoir de séduction, ces appétences voraces la laissèrent de marbre. Elle s’installa aux côtés de Klaam. Celle-ci se retint de frétiller. Sans nul doute, cette entrée marquait le début de l’enquête ! Effectivement, Alain ne tarda pas à apparaître, plus sémillant et fringant que jamais.
Alain : – Mademoiselle Svetlana !
Adriana : – Monsieur Pavlovitch me charge…
Alain : – Tout est prêt. Suivez-moi ! »
Pour mieux conjurer l’égarement coupable qui avait ponctué leur précédente rencontre, il affecta le ton blasé du grand professionnel et la conduisit vers l’escalier intérieur. Une fois au bureau, il s’empara d’un dossier épais pour donner le change.
Alain : – Les garanties de maître Kieffer attestent de l’entrée officielle de monsieur Pavlovitch dans le capital dès la fin de l’année prochaine.
Adriana : – Il est préférable d’attendre que les remous s’estompent. »
Sans trace d’émotion apparente, elle s’approcha. Son souffle humide effleura la nuque d’Alain. Au travers de son corsage distendu, la rainure parfaite de ses seins sonnait comme une invite radicale à d’autres délices.
Adriana : – Monsieur Pavlovitch vous témoigne de son entière confiance. »
Mue par l’euphorie calculée, elle se jeta dans ses bras et en profita pour instiller une subtile pression de sa poitrine contre les flancs de sa proie. Laissant ses meilleures résolutions à l’abandon, Alain ne se contint plus. Sa tête bourdonnait. Il était trop tard pour desserrer l’étau. Sans comprendre tout à fait la portée de ses actes, il l’embrassa dans la foulée. En même temps qu’il la pressait de caresses, une culpabilité sourde l’enveloppa d’un manteau oppressant. Il se reprit et dévisagea Adriana avec hébétude, s’empressant de chasser de sa tête enfiévrée ces sottes marques de superstition qui l’inhibaient. Il n’avait fait qu’embrasser une femme ! Ce n’était pas la fin du monde !
« Et ton patron ? Tu n’as plus peur de lui maintenant ? »
Il l’avait tutoyée sans s’en rendre compte.
Adriana : – Et moi qui pensais que tu te faisais du souci pour moi ! L’argent, toujours l’argent ! Les hommes sont tous les mêmes : incapables de comprendre quoi que ce soit aux sentiments ! »
Dépassé, il prit un air offensé. La manœuvre fonctionna à merveille. Elle se redressa, cajoleuse.
Adriana : – Maintenant que tu m’as remis les documents, je finirai seule le travail…
Alain – Décidément, tu as toutes les qualités ! »
Pour le lui prouver, elle se pressa contre lui.
Adriana : – Saurais-tu où me trouver de la cocaïne ? »
Comme il hésitait, elle lui laissa entrevoir la fine pointe de ses seins, deux nobles jumeaux dont la géométrie invitait à la foi en la finalité divine. Qu’Alain aimait les doubles !
Adriana : – J’en ai besoin pour l’amour… »
Le plaisir de l’ivresse sexuelle fut plus fort que ses atermoiements. Il fouilla son coffre et revint muni d’un sachet. Il fallait vivre dangereusement ! A la vue de la poudre blanche, elle s’émerveilla. Il étala deux fines lignes blanches sur une feuille de papier. Il touchait au but ! C’était tout ce qui comptait.

Entrée du Chamois, Clairlieu, 1 heure 30.

Sitôt leur départ, Klaam ne traîna pas au comptoir. Les questions affluaient dans son esprit. Pour les remettre en place, elle avait besoin du calme et du confort de son véhicule. Qui était Adriana ? La maîtresse d’Alain ? L’envoyée de Pavlovitch ? Et ce mystérieux Russe ? L’investisseur secret tant recherché ? Son luxueux 4X4 de location était encore l’endroit le plus indiqué pour attendre au chaud tout en jouissant d’un poste de surveillance optimale. A son grand soulagement, une lumière à l’étage révéla la présence des tourtereaux. Connaissant la réputation du patron du Chamois, étaient-ils seulement occupés à parler affaires ?
En attendant, elle griffonna sur son calepin les bribes des renseignements recueillis au bar.

« Adriana Svetlana/Pavlovitch. Russe, selon toute vraisemblance. »

Les événements confirmaient ses appréhensions tout en soignant les incertitudes qui l’inclinaient à la circonspection et à l’attentisme. Alain avait-il eu le front de nouer une alliance avec un mafieux de la pègre post-communiste, qui plus est dans le dos de Pardo ? Si oui, quels impératifs le conduisaient-ils à de pareilles extrémités ? Comment procéder sans éveiller les soupçons de Cardetti ?

Bureau d’Alain, Clairlieu, 1 heure 45.

Alain sirotait un énième Bourbon sur les hanches de sa conquête tandis que celle-ci fumait langoureusement une cigarette en dévorant du regard sa proie.
Adriana : – Quelle belle nuit d’amour ! Vous, les Français, on peut dire que vous êtes de grands romantiques… »
Elle lui caressa les cheveux avec tendresse. Il se pourlécha du compliment. Malheureusement, l’instant n’était appréciable qu’en y adjoignant un prolongement charnel.
Alain : – Que dirais-tu d’une incartade aux principes que nous nous étions fixés la dernière fois ? »
Elle baissa la tête, honteuse et interdite.
« Je suis confuse…
Alain : – Ce n’est pas moi qui te trahirais…
Adriana : – Ce n’est pas ça…
Alain : – Je serais plus menacé que toi ! Non seulement Karpak voudrait ma peau, mais Pavlovitch dénoncerait notre accord !
Adriana : – Je ne peux pas…
Alain : – Tu ne veux pas de moi ? »
La dérobade lui glaça les os.
Adriana : – C’est mon éducation ! Deux hommes en même temps, ce n’est pas moi… »
Alain fulmina. Le prétexte était fumeux. Les risques encourus décuplèrent ses envies.
Alain : – Laisse-toi aller ! Ne sommes-nous pas entre nous ? Veux-tu de la musique pour te détendre ?
Adriana : – N’insiste pas, je suis au supplice !
Alain : – Et moi à bout ! »
Pour se passer l’envie, il se vengea sur le Bourbon.
Adriana : – Cinq heures ! Je vais y aller ! Par pitié, ne m’en veux pas ! »
Elle s’approcha de lui et l’embrassa à la dérobée. Il ne savait plus à quel saint se vouer.
Adriana : – Je suis désolée pour ma conduite…
Alain : – Quand puis-je te revoir ?
Adriana : – Tu le sais très bien ! Pas avant la soirée du Réveillon. »

Devant le Chamois, Clairlieu, 5 heures.

Klaam se réveilla en sursaut. Furieuse de sa bévue, elle frappa avec rage le volant. Elle avait laissé passer la filature ! C’était une faute grave, impardonnable ! Heureusement, la vérification la déchargea. Un mince filet de lumière zébrait toujours le bureau d’Alain. Soulagée, elle ouvrit la portière pour jeter un œil. Elle eut à peine le temps de se raviser qu’une berline allemande se gara en trombe devant les escaliers ! Ses deux cerbères patibulaires ne prirent pas la peine de couper le moteur. Au même moment, la porte du bureau s’ouvrit. Alain apparut aux côtés d’Adriana. Klaam eut juste le temps de prendre plusieurs clichés et d’enregistrer la plaque d’immatriculation avant qu’Adriana ne monte à l’arrière de la berline. La voiture démarra en trombe.
« Je ne sais pas qui sont ces zozos, mais c’est sûr, il s’en trame des vertes et des pas mûres du côté du Chamois ! »
Elle leur emboîta le pas. Les Russes s’arrêtèrent bientôt devant une résidence cossue, cerclée de hauts murs et de haies imposantes. Klaam releva.
« Le Beaufort ? L’endroit idéal pour des activités peu reluisantes… »
Elle vérifierait en temps voulu, mais l’identité du locataire ne laissait aucun doute. Pour l’heure, elle regagna la pension cossue où elle était descendue, par souci de discrétion, sous le nom d’Eugénie de la Feyardière. Dans sa chambre, elle se connecta au réseau de la DRM. A tout seigneur, tout honneur !
« Commençons par Pavlovitch… »
Les renseignements délivrés par le serveur étaient indigents.

« Pavel Fiodorovitch Pavlovitch. Millionnaire russe. Fortune douteuse acquise dans le monde de la nuit de Saint-Pétersbourg. »

Le commentaire s’avérait succinct. Trop ? Ni infractions ni fraudes : pour un affairiste supposé, l’impunité était souvent plus compromettante qu’un casier.
« Manifestement, cet olibrius n’appartient pas aux grands barons dont la nouvelle Russie se serait bien passée ! Dommage, car j’aurais volontiers sollicité Karpak pour nous dépatouiller de ce gêneur… »
Dépitée, elle n’hésita pas longtemps sur l’orientation à suivre, malgré l’heure.
« Je n’ai d’autre choix que d’abattre mon joker suisse ! »
Quand la machine peinait à suppléer les déficiences de l’homme, Fabio Kuhn les supplantait avantageusement. Ce professeur honoraire d’économie à l’Université d’Oxford était à lui seul plus qu’une base de données sur le monde des affaires. Il s’était entièrement dévolu aux caprices de cette maîtresse dévorante.
Klaam : – Pas encore couché, Fabio ?
Kuhn : – Je pourrais vous retourner la question !
Klaam : – Une info contre un homard !
Kuhn : – Le homard n’a pas de prix…
Klaam : – Vos infos non plus !
Kuhn : – Qu’attendez-vous de moi, au juste ?
Klaam : – Fiodor Pavlovitch et le milieu de la fête de Saint-Pétersbourg ?
Kuhn : – Le milieu de la pègre, voulez-vous dire ! Le magazine allemand Investir a consacré un article retentissant à cet entrepreneur qui se fait appeler en toute modestie l’Empereur des discothèques. La véritable origine de sa fortune se situerait en fait du côté du plus vieux métier du monde…
Klaam : – Il officie dans la religion ?
Kuhn : – La religion du sexe, certainement ! Il plastronne à la tête de la plus grosse discothèque d’Europe, à Saint-Pétersbourg. Une couverture pratique et confortable pour dissimuler ses activités de proxénète.
Klaam : – La nuit, tous les chats sont gris !
Kuhn : – Tenez-vous, le déballage n’est pas achevé ! Notre homme serait un affidé de Karpak… »
Cette annonce la pétrifia. Elle en aurait pleuré. Combien de temps allait-elle réparer les avanies qu’un destin perfide s’acharnait à semer en travers de sa route ? Elle s’efforça de masquer son trouble.
« Je retourne à mon enquête ! Bonne nuit, Fabio !
Kuhn : – Vous rêvez, ma chère ! Je suis plongé dans la lecture des œuvres complètes de Hayek ! »
Klaam n’écoutait déjà plus. Désormais, son brillant interlocuteur représentait pour ses intérêts une perte de temps. Avec Karpak dans les parages, il n’y avait pas à barguigner. Il fallait prévenir sans tarder Chanfilly.
Auparavant, elle écréma par Internet les fichiers des agences immobilières de la station. Elle ne tarda pas à percer les codes du réseau informatique local et à identifier le locataire du Beaufort. Sans surprise, il s’agissait bel et bien du sieur Pavlovitch. Ironie du sort, Luc, via l’agence Immob, en était le propriétaire putatif !
« Voilà qui ne manque pas de sel ! »
À propos d’Adriana, en revanche, elle n’obtint aucun renseignement.
« Ce doit être quelque chose comme une pute d’affaires… »
Elle lança le visiophone. Il était temps de réveiller Chanfilly. Paradoxalement, celui-ci arbora une voix plus détendue et dispose que tout à l’heure. Etait-il toujours éveillé ? Il l’avait habituée à des nuits sobres et paisibles.
« Pour que vous me réveilliez en pleine nuit, l’état d’urgence menace !
Klaam : – Effectivement, les nouvelles ne sont pas brillantes… Alain n’a rien trouvé de mieux que de s’allier avec un mafieux russe pour contrer son frère !
Chanfilly : – Quoi ? Mais vous réservez un cataclysme ! Pardo ne lui suffisait pas pour qu’il s’acharne dans la destruction ?
Klaam : – Il a besoin de cash pour financer une opération de terrains en haute montagne !
Chanfilly : – Qui est ce Ruskof ?
Klaam : – Fiodor Pavlovitch.
Chanfilly : – Jamais entendu parler d’un tel loufiat !
Klaam : – Officiellement, il tient la plus grande discothèque d’Europe, à Saint-Pétersbourg. En réalité, c’est une couverture qui camoufle ses activités réelles dans le proxénétisme. Aucun doute là-dessus, il se sert d’Alain pour blanchir son argent.
Chanfilly : – Cet Alain a le chic pour attirer les manipulateurs ! Quels indices vous ont permis de remonter jusqu’à lui ?
Klaam : – Une superbe Eurasienne, répondant au doux nom d’Adriana Svetlana, a eu la bonne idée de s’asseoir à mes côtés tout à l’heure…
Chanfilly : – Comment diable êtes-vous tombée sur elle ?
Klaam : – Disons que je me trouvais aux premières loges pour ne rien rater de l’arrivée d’Alain et de leur discussion ! Ils sont ensuite montés dans son bureau pour parler affaires.
Chanfilly : – Pas besoin de chercher de midi à quatorze heures. Cette femme est quelque chose comme une call-girl !
Klaam : – A sa sortie, deux gorilles l’attendaient dans une Mercedes. Direction le Beaufort ! Une résidence cossue et discrète, idéale pour mener les affaires en catimini.
Chanfilly : – Laissez-moi deviner : le locataire n’était autre que Fiodor Pavlovitch… »
Klaam ne jugea pas opportun de confirmer.
Chanfilly : – Imaginez que Cardetti apprenne l’arrangement financier passé entre Alain et Pavlovitch… Je me demande si le mieux ne serait pas de nous défaire sans tarder de l’olibrius !
Klaam : – Un règlement de comptes ? Vous n’y pensez pas : Pavlovitch travaille pour Karpak !
Chanfilly : – Que dites-vous ?
Klaam : – La meilleure chose pour nous reste de surveiller la poudrière en…
Chanfilly : – Attendez ! Karpak est à mille lieues d’imaginer son employé en passe de démolir ses projets africains…
Klaam : – Vous comptez sur lui pour nous débarrasser de ce fâcheux ?
Chanfilly : – Laissez-moi le Nouvel An pour me charger de la besogne ! D’ici là, vous le constaterez par vous-même, Pavlovitch se sera retiré de la transaction. Entre temps, assurez-vous qu’Eichmann ne se lance pas dans des manipulations dont il a plus que quiconque le secret !
Klaam : – S’il veut travailler avec moi, il devra au préalable me relater par le menu chacune de ses actions…
Chanfilly : – Quand je pense que sans cet oiseau de malheur, nous passions à côté des liaisons dangereuses d’Alain…
Klaam : – Il arrive que le mal fasse plus de bien que le bien lui-même !
Chanfilly : – Est-ce vraiment le moment de philosopher ? Concernant Eichmann, bornez-vous à lui annoncer qu’Alain fricote avec une top des steppes de l’Oural !
Klaam : – Je ne lui communique pas les clichés ?
Chanfilly : – Limitez-vous à Alain et sa belle de nuit ! Que la berline n’apparaisse pas ! Eichmann représente notre meilleur moyen d’anticiper les dérapages d’Alain. Quelque chose me dit que ce coco n’est pas le patron insignifiant de boîte pour jet-setteurs en séjour alpin que tous révèrent pour sa niaiserie insondable…

Pension de Klaam, Clairlieu, 8 heures.

« Et maintenant, tirons le loustic du lit ! L’appel le mettra peut-être de mauvaise humeur, mais le procédé fait très professionnel ! »
Klaam puisait dans les veilles le suc de son existence, comme une transe qui lui donnait la sensation de transcender la sphère des simples mortels et, en approchant de la face cachée des événements, de révéler la voix grisante et inconnue de l’histoire.
« Monsieur se prépare pour le ski », s’entendit-elle répondre par l’ineffable Olga.
Eichmann, qui d’ordinaire ne supportait pas qu’on le sorte de sa douche, enfila son peignoir avec célérité et diligence. Olga se tritura les méninges, plus perplexe que jamais. Quel événement était en mesure de bouleverser les manies de celui dont elle servait d’ombre auxiliaire ?
« Même motel, dans une demi heure ! », avait notifié Klaam, lapidaire.
Un quart d’heure plus tard, ponctuel comme un clin d’œil à la réputation de sa nationalité, il toquait à la porte.
Klaam : – Entrez, vous risquez d’attraper un courant d’air !
Eichmann : – Vous paraissez éreintée.
Klaam : – Dois-je vous rappeler que je sors d’une nuit blanche ?
Eichmann : – Mazette, votre adaptation aux us et coutumes de la station est confondante ! Moi qui pensais que vous teniez en horreur les lieux de décrépitude…
Klaam : – Effectivement, le Chamois représente le temple local de la décadence et de la vulgarité.
Eichmann : – Comme vous y allez !
Klaam : – Concernant le cadet des Méribel, votre intuition ne vous avait pas abusé.
Eichmann : – Vous avez mis la main sur son associé ?
Klaam : – Il était occupé à fricoter avec une splendeur eurasienne. Sa conduite est d’un pathétique…
Eichmann : – Comme celle de tous les dépravés…
Klaam : – Parleriez-vous d’expérience ?
Eichmann : – Je vous laisserai seule juge en la matière… »
Klaam tendit un cliché.
« Cette Eurasienne vous suggère-t-elle quelque chose ?
Eichmann : – Absolument pas !
Klaam : – Alain l’a quittée à la petite aurore. La jeune femme n’est connue ni des services d’espionnage, ni de police… »
Eichmann s’était saisi des épreuves avec une fièvre inquisitrice. Il se montra vite dépité.
« Si je comprends bien, vous ne disposez d’aucune piste autre qu’une probable cocote ?
Klaam : – Pour l’instant, non ! Qui sait ? Nous faisons peut-être fausse route… Cette femme n’est peut-être que la maîtresse d’Alain…
Eichmann : – Cela ne répond pas à nos questions ! D’où sort-il l’argent ? Il n’a pas les moyens de financer à lui seul la surenchère…
Klaam : – Question cruciale, que je me chargerai d’éclaircir dès mon retour ! Eichmann : – Vous partez ?
Klaam : – Une mission de la plus haute importance, prévue de longue date... En attendant, que ce soit bien clair entre nous : aucune intervention en mon absence ! J’entends que vous m’informiez des moindres modifications de l’enquête.
Eichmann : – Comment aurais-je oublié la rengaine ? Les détails les plus insignifiants comptent comme les éléments les plus importants de l’enquête… »
Quand elle s’éclipsa, il était déterminé à suivre son engagement. Les premières heures, il parvint à conserver intacte sa promesse toute fraîche. Avec les heures, le naturel revint au galop et il brûla de déstabiliser Alain. L’occasion était trop belle d’écouter sa petite voix intérieure lui répéter avec gourmandise qu’il était entré dans l’aventure pour s’amuser aux dépens des deux frères.
Malgré tous ses efforts, il ne se contint pas au-delà de la matinée. Son sadisme s’avéra trop impérieux pour qu’il en contrôle les assauts oppressants. Il craqua devant la réaction d’effroi qui saisirait Alain à la vue des clichés. Un rapide calcul lui démontra que la levée de midi représentait la probabilité la plus sûre qu’Alain reçoive la missive le premier de la nouvelle année. Son cadeau de nouvelle et bonne année était assuré ! Combien aurait-il donné pour se glisser aux premières loges et ne rien rater de la scène ? L’enjeu le laissa hésitant. Et si Alain réceptionnait le paquet le 31, avant la soirée du Chamois ? C’eût été une catastrophe !
« Avec les fêtes, je ne veux prendre le moindre risque… Le plus sûr est encore d’envoyer la marchandise avant la levée ! »
Pour s’assurer de l’impunité de son forfait, il expédia l’envoi dans la boîte aux lettres de la Rigole, la plus utilisée de la station. La discrétion optimale assurée, il se sentit libéré d’un poids. A pareille époque, la réception du Réveillon pouvait occuper l’intégralité de son attention comme il se devait, d’autant que Luc était de la partie.

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