lundi 23 février 2009

15 décembre 199*.

Le Belvédère, Belleville, 17 heures 13.

Depuis le temps que Cardetti fixait un point invisible de l’arrière-cuisine, les olives noires et les pastis serrés n’étaient pas pour rien dans cette torpeur bohème qui lui conférait un air de paisible retraité profitant sans retenue du bon temps s’offrant à lui.
« Laissez-moi passer ou je fais un carnage ! »
Cardetti se redressa en sursautant. La voix tonitruante qui venait de troubler la paisible monotonie du bar ne laissait pas l’ombre d’une hésitation : l’entrée était signée ! Pardo ! Cardetti ne put réprimer un sourire. Sacré nom d’un Corse ! À peine arrivé, le bougre mettait déjà le feu aux poudres ! Ce phénomène de foire aurait été capable de pourrir de rire une équipe de croquemitaines en mission ! Toni l’introduisit dans l’hilarité générale. Traditions obligent, Cardetti sacrifia au rite de la bise corse. En apercevant la bouteille et les olives, Pardo ne se sentit plus.
« Ma parole ! Je tombe en pleine reconstitution d’une scène de vie d’Ajaccio !
Cardetti : – Un pastis ? »
Sans attendre la réponse, il dilua la ration maison dans cinq doses d’eau. Pas de temps à perdre ! Si je laisse tchatcher ce bavard, on y est encore au petit matin…
Cardetti : – La CREP, ça vous dit quelque chose ? »
Pardo s’esclaffa.
« Sur la Côte, les Corses ne parlent que de ça ! Soit dit entre nous, jamais ce merdier ne serait arrivé avec des compatriotes…
Cardetti : – Que je vous approuve, mon brave Roland ! Ah, ce n’est pas pour rien si nous sommes enfants d’Ajaccio ! Sinon, je ne vous aurais pas tiré de ce mauvais pétrin, la prison et les ennuis judiciaires… »
En reniflant l’offre qui affleurait sous la flagornerie, Pardo tiqua. Traiter avec un manipulateur de la stature de Cardetti n’était pas pour l’enchanter. Le Patron traînait la réputation d’un mauvais payeur sollicitant ceux qu’il tenait dans sa nasse. Précisément, Pardo n’avait pas le choix de se défiler.
Pardo : – La Bonne Mère m’est témoin, vous n’avez jamais eu à regretter la main que vous m’avez tendue !
Cardetti : – Justement, vos états de service exemplaires m’ont convaincu de vous confier une affaire unique… »
Pour noyer le poisson dans une dose d’encens, il resservit une tournée de pastis. Pardo regretta amèrement sa venue. Trop tard !
« Vous pouvez me demander n’importe quoi, je vous dois tant…
Cardetti : – Vous n’officiez plus dans le proxénétisme, au moins ?
Pardo : – Ai-je déjà trahi les clauses de notre accord ?
Cardetti : – Parlons de foot… Où en est votre écurie de joueurs ?
Pardo : – Aucun problème de ce côté, je l’ai déclarée au nom du fiston !
Cardetti : – Que diriez-vous de reprendre du service ?
Pardo : – Sur le banc ? »
Cardetti opina du chef.
« Le président d’Ajaccio est un ami ! On présentera votre nomination comme vos retrouvailles avec la ville de votre cœur. Les médias adoreront cette romance, vous verrez !
Pardo : – Vous me proposez le banc d’Ajaccio ? »
Son front s’assombrit. Pour que Cardetti lui soumette une proposition aussi somptueuse, il avait un besoin impérieux de ses services. Il appréhenda en conséquence la demande.
Cardetti : – En fourrant son nez dans les comptes de la CREP, Balthazar a gelé les transactions du CFD ! Du coup, le réseau Antonioli se retrouve dans l’incapacité de me payer…
Pardo : – Je croyais qu’ils réglaient rubis sur l’ongle ? Par rapport à leur réputation, c’est extrêmement décevant !
Cardetti : – C’est le moins qu’on puisse dire… Leurs histoires m’ont fichu dans un de ces pétrins ! J’avais engagé leur commission dans un projet et il m’est impossible de faire marche arrière… Les liens de sang qui m’unissent à certains des investisseurs sont inviolables…
Pardo : – Vous fricotez avec des compatriotes ?
Cardetti : – Vous m’avez parfaitement compris… Et pour que l’on soit sur la même longueur d’ondes, la commission Antonioli représente le plus gros business que j’aie eu à traiter pour un réseau français ! Ces vautours me doivent la bagatelle de dix millions de dollars…
Pardo : – Mais c’est le trésor de l’Atlantide !
Cardetti : – Comme Balthazar a autorisé les virements en France, ces incapables se proposent de démarcher un blanchisseur français !
Pardo : – Avec Balthazar au train, je comprends mieux leur baisse de fiabilité…
Cardetti : – J’ai pensé que certaines de vos relations étaient en mesure de me tirer du pétrin !
Pardo : – Vous me faites trop d’honneur ! Je ne dispose pas de la surface pour blanchir une telle somme !
Cardetti : – Roland, vous êtes un des rares hommes à qui j’accorde ma confiance sans rechigner. J’ai besoin de votre entière et dévouée coopération. »
Pardo cilla. Le compliment exhalait l’arrière-goût rance du poison.
Pardo : – Quoi qu’il m’en coûte, je saurai me montrer digne de la faveur que vous me témoignez ! Je n’ai pas oublié ce que vous avez fait pour moi quand…
Cardetti : – Où en est votre histoire de prêts déguisés ? »
Pardo blêmit. Que n’avait-il tenu sa langue au lieu de se répandre en vantardises de comptoir ? A présent, ses rodomontades le perdaient ! Il se retint d’écraser une larme de rage et d’impuissance : son coup le plus fumant, celui dont il était le plus fier, lui revenait en pleine gueule et avec usure ! Désormais, c’était sûr, il n’en verrait plus la couleur.
Pardo : – L’opération ne s’est pas révélée concluante…
Cardetti : – Repassez-moi la bobine, que je me cale dans le sens de la lecture !
Pardo : – J’ai commencé par sélectionner des rencontres de casinos. Le profil ? L’héritier flambeur et naïf, qui goberait ma plus belle galéjade : le tournoi-de-poker-montée-par-la-puissante-Ligue-des-Jeux-de-Las-Vegas, une puissante ligue occulte, financée par la pègre locale. Les profits promettaient d’être colossaux. J’ai eu beau faire, seul Alain Méribel a marché dans la combine. Je ne saurais donner rétrospectivement tort aux autres : en une soirée, plus que son fric, le gogo a laissé sa vie. Vous auriez vu sa tête le lendemain à l’hôtel ! Il parlait carrément de se loger une balle dans le citron… La bouche en cœur, je n’ai eu aucune peine à lui servir ma fable. Un richissime ami avait connu l’Enfer du Jeu. Apitoyé par l’épreuve qu’Alain traversait, il lui proposait le Plan de Remboursement le plus avantageux qu’un prêteur ait songé à concocter… »
Une quinte de rire gras freina le temps d’un hoquet sa faconde intarissable.
« Le bienfaiteur ne requérait qu’une condition : l’anonymat. Alain bénéficiait de conditions invraisemblables : il ne rembourserait qu’après l’héritage et à un taux fixe unique : deux millions d’euros sur cinq ans ! Pas un centime d’intérêts !
Cardetti : – Vous me dites qu’à 0 %, votre type n’y a vu que du feu ?
Pardo : – Il pleurnichait dans ma main qu’il me devait la vie ! C’en était si obscène que je me suis senti gêné… »
Cardetti abrégea, craignant que Pardo ne concentre avec complaisance ses talents d’orateur sur la détresse d’Alain. Il avait le chic pour en faire des tonnes !
Cardetti : – Quels étaient vos comparses dans l’histoire ?
Pardo : – Je les avais choisis rubis sur l’ongle…
Cardetti : – Auraient-ils consenti à travailler pour vos beaux yeux ?
Pardo : – Tous m’étaient redevables de services ou d’autres… Du coup, leur intervention m’est revenue à deux millions, en comptant les extras !
Cardetti : – Déjà versés ?
Pardo : – Payables en trois ans. Je ne suis pas Crésus, moi !
Cardetti : – Autrement dit, vous empocherez huit millions bruts sur ce service…
Pardo : – C’est effectivement la somme à laquelle je pourrais prétendre. Avec quatre, je m’estimerai déjà heureux…
Cardetti : – Pourquoi cet élan subit de générosité ?
Pardo : – Disons que l’entourage d’Alain me rend… circonspect !
Cardetti : – Un cadrage méthodique ne serait pas superflu pour cerner les contours de la combine...
Pardo : – Suite aux JO de 198*, le père Méribel a monté sur Clairlieu le plus grand groupe de Haute-Savoie : immobilier, hôtellerie et restauration – un profil similaire au vôtre. Dans cette success story, la discorde viendrait de la succession. Le père Méribel avait eu deux fils. Deux jumeaux. Deux caractères aussi dissemblables que leur ressemblance physique était troublante. Autant Luc brillait par ambition à revendre, autant Alain manifestait une humeur fragile et bohème. Pour son père, pas de doute, Luc était programmé pour reprendre le groupe. Alain causerait moins de troubles en rentier. Du coup, celui-ci a joué le jeu. On le considérait comme un marginal ? Il se mit à fumer des joints, à traîner avec des immigrés de banlieue et à refaire le monde de travers ! Il devint bientôt copain comme cochon avec deux Rmistes des Tamaris, la banlieue de Clairlieu. Abdel est originaire du Maroc, Jeannot du Dahomey. Tout simplement de la graine de révolutionnaire et de délinquant !
Cardetti : – Tiens, tiens, c’est curieux comme on retrouve Belleville…
Pardo : – Un simple hasard ! Le trio s’est juré de monter la Fondation de l’Arc-en-Ciel. Une lubie fumeuse de crétins illuminés par les excès du chanvre : le projet consiste à porter assistance à des orphelins du Maroc et du Dahomey ! Tenez, le siège ouvrira ses portes le mois prochain… Alain ne cesse de me casser les pieds avec ses rêves d’entraide et de fraternité ! Il veut m’inviter à la réception d’ouverture ! Son raout, s’il devinait où il peut se le mettre ! L’organigramme n’est pas à piquer des vers : Abdel dirigera et Jeannot prospectera ! Je vous laisse imaginer le tableau avec ces pieds-nickelés de la misère mondiale…
Cardetti : – Alain banque ?
Pardo : – L’énergumène a les moyens de ses lubies : pour lui éviter de s’intéresser de trop près aux affaires du groupe, son père lui versait une confortable pension. De quoi délester Luc de toute concurrence… »
Cardetti renifla de mépris.
« Je vois ! Un idéaliste mû par l’hypocrisie ! Maintenant, je comprends mieux qu’il soit tombé dans le panneau…
Pardo : – L’ennui, c’est que son mariage a tourné en eau de boudin. La sage-femme épousée aspirait à une vie de famille bucolique, retirée des tracas du monde à l’ombre des platanes de sa Touraine natale. Évidemment, quand on désire refaire le monde, l’horizon s’annonçait peu reluisant...
Cardetti : – Je vois le tableau d’ici : rapidement, votre pigeon a perdu les pédales…
Pardo : – Ah, c’est le moins qu’on puisse dire ! Pour se donner de l’intérêt, il n’a rien trouvé de mieux que de s’embarquer dans une double vie ! Les femmes n’ont pas traîné à tournoyer autour de l’héritier présomptif. Il a perdu la tête et s’est mis à flamber sans compter. Au final, ses peccadilles ont viré à la catastrophe.
Cardetti : – Laissez-moi deviner… Déficit de reconnaissance, hein ?
Pardo : – Il fréquentait le casino de M***, où il jouait sans forcer la partition de snobinard benêt. Comme c’est un faible, il s’adapte à son interlocuteur. En compagnie des racailles, il baragouine leur sabir de dégénérés. En présence d’un milliardaire, il fanfaronne comme un jeune coq !
Cardetti : – Un manipulateur minable en somme… Je parie qu’une fois revenu dans les jupes de sa tendre et chère, il remise sa casquette d’oiseau douteux pour celle de mari modèle !
Pardo : – Sans lui trouver d’excuses, la perte brutale de son père trois mois auparavant lui a tourné le casque… »
Un sourire illumina aussitôt le visage d’ordinaire terne de Cardetti.
Cardetti : – Mais alors… Alain vient d’hériter ?
Pardo : – Une rupture d’anévrisme a emporté son paternel au moment où il préparait sa retraite.
Cardetti : – Le partage a dû être mouvementé entre les deux héritiers…
Pardo : – Il était convenu que Luc verse à Alain l’équivalent de ses parts en viager.
Cardetti : – Avec sa dette, Alain n’avait plus le choix…
Pardo : – Contre tout ce qu’il avait prétendu jusqu’alors, il s’est abrité derrière l’Arc pour reprendre ses parts : l’excuse était imparable ! On lui a affublé l’image d’un Zorro de la finance dont l’argent servait la cause des déshérités et des orphelins. Grandiose !
Cardetti : – Luc a dû se sentir ulcéré !
Pardo : – C’est peu dire ! Il a vécu ce revirement comme un coup de poignard ! Mais il était coincé. Dénoncer la volte-face d’Alain revenait à passer pour un arriviste sans cœur…
Cardetti : – C’est une stratégie diaboliquement retorse ! Je n’aurais pas trouvé mieux !
Pardo : – Ne restait plus pour Luc d’autre alternative que de se taire.
Cardetti : – Ca n’a pas dû être facile…
Pardo : – Il s’était installé dans la peau de l’héritier légitime. Il avait repris le siège historique qu’occupait le père, juste en face de la mairie. Même façade, même secrétaire, même bras droit – Crétier, un énarque, comme Luc.
Cardetti : – Luc est énarque ?
Pardo : – Sciences Po, ENA : le parcours parfait !
Cardetti : – Ces requins sont les pires ! Ils estiment que tout leur est dû.
Pardo : – Des fadas finis, oui… »
Avec ses études interrompues après le certificat, il ne ratait jamais une occasion de pourrir le système scolaire.
Cardetti : – Mazette, à vous entendre, on jurerait que les Méribel sont de vos intimes !
Pardo : – Si vous saviez le nombre de fois où j’ai rencontré Alain !
Cardetti : – Considérez le résultat : vos efforts n’auront pas été vains…
Pardo : – C’est le moins qu’on puisse dire ! A présent, cet idiot me considère comme un proche !
Cardetti : – Eh bien, passons si vous le voulez bien au volet remboursement. Je me pose des questions… Ce n’est tout de même pas en tapissant le Chamois de minets et de garces endimanchés qu’on sort deux millions à l’année !
Pardo : – Sur mes conseils, Alain a revendu ses parts immobilières à Luc. Un pactole qui générera au final six millions, à raison de deux millions sur trois ans.
Cardetti : – Si je sais encore compter, il reste quatre millions à débourser…
Pardo : – Attendez, il ne faudrait pas pousser non plus ! Six millions nets pour une dette fictive, dont quatre cash pour ma poche, j’estime pouvoir m’asseoir sur le reliquat…
Cardetti : – Malheureux ! Surtout n’en faites rien : c’est grâce à ces millions que nous tenons Alain ! »
Pardo observa le déroulement de l’entretien avec inquiétude. Cardetti s’était approprié la dette d’Alain avec un naturel déconcertant qui ne lui disait rien de bon.
Cardetti : – Quand le revoyez-vous ?
Pardo : – J’ai loué la semaine prochaine une loge pour le Grand Prix de M***.
Cardetti : – Il est fondu de F1 ?
Pardo : – Il est surtout obsédé par la peur de ne pas s’acquitter des quatre millions ! Il était prévu d’aborder les modalités du remboursement… »
Cardetti se frotta les mains avec gourmandise.
« Changement de programme : votre généreux pourvoyeur anonyme vient d’acquérir une identité !
Pardo : – Je vous demande pardon ?
Cardetti : – Le mystère de l’incarnation a encore fait des miracles… »
Pardo écarquilla de grands yeux ébahis.
Cardetti : – Pas en chair – mais en os !
Pardo : – Un cadavre ne nous serait pas d’une grande utilité…
Cardetti : – Vous ne devinerez jamais les services qu’il m’a rendus !
Pardo : – Il s’agit d’un ami ?
Cardetti : – C’est une façon honorable de voir les choses… Pour vous rapprocher de la vérité, il me reste à vous préciser qu’un ami est toujours plus sûr mort que vivant ! »
L’œillade malicieuse qu’il accola ne contribua pas à rasséréner Pardo. D’humeur badine, Cardetti crut bon de singer le ménestrel provençal égaré dans la campagne africaine.
« Depuis cinquante ans, Lucien Feliciggiani gardait ses moutons sur les hauteurs d’Ajaccio. Ce vieux garçon était sans famille et sans ressource… »
Il grogna et reprit sa voix madrée.
« Fin du conte, début de la réalité ! A sa mort, mon premier soin a été de lui réserver des funérailles dans la plus grande intimité. Juste lui et moi…
Pardo : – Un macchabée que vous utilisez comme prête-nom ?
Cardetti : – Il me serait précieux un jour ou l’autre…
Pardo : – Votre intelligence est la garantie de notre prospérité, monsieur Cardetti !
Cardetti : – Le virement interviendra autour de la première quinzaine de janvier. Jusque-là, vous me pistez Méribel à la trace !
Pardo : – Vous attendez que je m’installe à Clairlieu ? »
Pardo l’avait mauvaise : Cardetti, non content de lui souffler Alain Méribel, distribuait les cartes avec un sans-gêne éhonté !
Cardetti : – Joueur, manipulateur, coureur de jupons… Lui voyez-vous d’autres faiblesses ? »
Pardo comprit que, selon la logique du maître de Belleville, les problèmes qui surviendraient lui seraient imputés, surtout s’il n’en était pas responsable. Alors qu’il allait répondre le plus tranquillement du monde par la négative, la plastique siliconée d’Alexandra Kazan surgit comme la tempête dans sa mémoire placide. Ses nibards de présentatrice le narguèrent sur l’air des lampions d’une sarabande sardonique.
L’histoire s’avérait affligeante. Pardo était l’agent d’un footballeur qui avait eu une liaison avec cette bécasse. Juste avant, Alain l’avait larguée avant qu’elle commence à lui parler d’enfant. Pour se venger, Kazan avait déballé à son amant footballeur le penchant prononcé d’Alain pour la poudre. A l’époque, Pardo s’était félicité que la cocaïnomanie de son pigeon soit remontée jusqu’à ses oreilles. C’était l’assurance de le faire chanter en cas de difficulté ! A présent, cette addiction risquait de lui coûter très cher. Cependant, il secoua la tête en signe de dénégation. Dans sa situation, l’omission était préférable à la vérité.
Pardo : – Je ne vois guère que son associé, Pelletier… Cet arriviste brûle d’être calife à la place du calife ! Alain l’a mis au courant de ses soucis. Mais je ne me plaindrai pas : après tout, son ambition sert nos intérêts, non ?
Cardetti : – Vous brûlez d’apprendre ce que vous gagnerez dans l’histoire, n’est-ce pas ? Non, non, ne protestez pas : à votre place, je réagirais de la même manière. Eh bien, vous n’aurez pas à vous plaindre du traitement que je vous réserve. Vous connaissez ma devise ? »
Pardo baissa la tête.
« Rendre les coups au centuple – et les bienfaits au décuple. Avec moi, vous empocherez beaucoup plus que les millions sacrifiés dans l’immédiat… Voici mon offre : deux pour vos hommes, trois pour votre poche font cinq millions. Laissez-lui entendre qu’en cas de coopération fructueuse, il peut espérer une minoration, voire une suppression de sa dette. C’est notre arme absolue pour le faire chanter ! Par la suite, une fois les dix millions injectés, nous le manipulerons à notre guise. Quand il constatera qu’il ne lui reste que le choix de nous suivre, Pelletier nous soutiendra, j’en fais mon affaire… »
Pardo ne réagit pas. Il en était encore à ressasser la cocaïnomanie d’Alain. Cardetti s’énerva.
« Holà ! Etes-vous encore de ce monde ?
Pardo : – Vous avez ma parole de Corse ! »
Voilà qui n’arrangeait pas ses affaires. Cardetti s’était contenté de belles envolées sans lendemain. Il avait de quoi se lever, cérémonial et enjoué. Il venait de réaliser une affaire en or : arnaque sur son obligé !
« Je porte un toast à notre réussite ! »
Suivant la coutume, Pardo vida son verre cul sec.
Cardetti – J’oubliais un détail : la personne que le réseau a choisie pour représenter ses intérêts se nomme Rosa Klaam… »
Cette annonce cloua Pardo sur son siège. Il croyait s’être résigné au pire – cette précision le décillait amèrement. La réputation de l’avocate n’était plus à établir. Devant la perspective d’être dévoré tout cru, qui plus est par une femme, son sang ne fit qu’un tour.
Pardo : – Je ne vais tout de même pas traiter avec une bonne femme ?
Cardetti : – Croyez-vous que sa présence me ravisse ? Nous n’avons pas le choix : nous devons en passer par elle pour mener à bien notre opération blanchisseur !
Pardo : – Jamais une femme ne me commandera !
Cardetti : – Que les choses soient bien claires : la fermeté de mon soutien vous est intégralement acquise ! »
Cette déclaration d’intention ne rasséréna guère Pardo. Il ne se trouvait de toute façon pas à la hauteur.
Cardetti : – Maintenant que vous voilà rassuré, un conseil : les experts ont en horreur la désinvolture. Un mémoire sur la famille Méribel nous évitera de passer pour des charlots. En plus, nous y gagnerons un temps précieux.
Pardo : – J’ai de quoi lui concocter un vrai roman de gare, parole de Roland !
Cardetti : – Assez parlé, il est temps de lever nos verres ! »
Ils se congratulèrent.
Cardetti : – Le pastis est le seul remède que j’ai trouvé pour faire passer l’eau… Une dernière tournée ?
Pardo : – Je regrette, le médecin m’interdit les excès…
Cardetti : – Si vous commencez à écouter les docteurs… Laissez-les, ces grands fadas ! On n’a qu’une vie, pas vrai ? »
Joignant le geste à la parole, il servit Pardo d’autorité.
« Voici la version que je vous propose… »

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