lundi 23 février 2009

18 décembre 199*.

La Mandragore, Belleville, 17 heures 03.

Confortablement installé au bar, Cardetti savourait des œufs sauce piment. Son complexe flambant neuf avait été inauguré par le Maréchal-Président Sekotou en personne. Quatre pistes de danse, trois bars, deux restaurants, un karaoké, des murs tapissés de lambris précieux – le luxe ostentatoire en remontrait aux discothèques les plus selectes d’Occident. Un coup d’œil jeté à sa montre, et Cardetti repoussa d’un geste blasé les œufs. C’était l’heure du café ! Il apostropha avec un humour douteux le gosse de quinze ans qui s’activait au comptoir.
« Gamin, un petit noir ! »
L’apprenti-serveur, qui n’était autre que le fils de Bonaventure-Désiré, s’empressa de lancer la cafetière.
« Monsieur Cardetti ? »
Surpris de cette voix glaciale qui ne s’était pas annoncée, il eut un léger mouvement de recul. Dans une discrétion spectrale, quasi marmoréenne, une femme mûre avait fait son apparition. Cardetti tenta de se reprendre tant bien que mal.
« Vous pouvez dire que m’avez causé une belle frayeur ! »
Pour toute réponse, l’inconnue lui tendit une main dégantée.
« Rosa Klaam… »
Les yeux de Cardetti s’écarquillèrent. Depuis le temps qu’il en entendait parler, c’était la première fois qu’il se trouvait confronté à cette icône de l’affairisme.
« Le serveur vous conduira jusqu’à mon bureau. »
Délaissant son café, il disparut derrière une porte dérobée, aussi fiévreux que pétrifié. Aucun doute, la célérité avec laquelle Klaam avait rappliqué était l’indice de l’état de délabrement du réseau.
Je vais te la croquer crue, moi, la croquemitaine !
Il se glissa jusqu’au bureau.
« Madame Klaam, installez-vous, je vous prie. »
En guise d’accueil impromptu, le serveur avait apporté un plateau de cocktails. Klaam sourit chichement. Par une pareille chaleur, ces rafraîchissements la comblaient.
« Décidément, l’hospitalité africaine n’est pas une légende !
Cardetti : – D’autant qu’elle se redouble dans mon cas de la plus pure tradition corse ! »
La véhémence de son regard démentit sa frivolité d’apparat.
« Rentrons dans le vif du sujet, puisque vous me contraignez à recouvrer ce que vous vous avouez incapables de rétribuer !
Klaam : – N’avez-vous pas refusé notre proposition ?
Cardetti : – Votre intermédiaire ne vous a pas mis au courant ? Je dispose d’un blanchisseur susceptible de faire l’affaire !
Klaam : – Comme il vous plaira ! Le versement sera conditionné à l’identité de votre mandataire. Des vérifications élémentaires s’imposent...
Cardetti : – Il se nomme Roland Pardo…
Klaam : – L’olibrius qui a sous-traité les call-girls de Sekotou ?
Cardetti : – Pour ne rien vous cacher…
Klaam : – Si je ne m’abuse, il a aussi défrayé la chronique judiciaire…
Cardetti : – Des bêtises de jeunesse ! Depuis, j’ai sorti ce garçon du bourbier !
Klaam : – Un entraîneur de football à la réputation sulfureuse…
Cardetti : – Feriez-vous partie des trop rares femmes à goûter le ballon rond ?
Klaam : – Ce pourrait être le cas si le business n’avait pris le pas sur le sport… Je connais votre homme par la rubrique Faits divers. Ne s’est-il pas pris deux balles dans le dos il y a quelques années ?
Cardetti : – Votre mémoire ne vous joue pas de tour. Je suis quant à moi fondu de ballon et, si Dieu me prête vie, je projette sur mes vieux jours d’investir dans le club de mon enfance, le Sporting d’Ajaccio !
Klaam : – Les démêlés de votre employé avec la justice ne me disent rien qui vaille. Nous ne tenons guère à travailler avec un émissaire douteux dans une affaire de cette importance.
Cardetti : – Au cas où vous auriez oublié qui est la victime de vos méthodes anarchiques, je ne vous laisse pas le choix des armes ! »
Cette mise au point cinglante laissa Klaam de marbre.
« Pourrait-on prendre connaissance de la suite de son parcours ?
Cardetti : – C’est un natif d’Ajaccio.
Klaam : – Considérons qu’il s’agisse d’une manière avantageuse de débuter l’existence…
Cardetti : – Ce défenseur rugueux aurait pu prétendre à une dimension internationale si ses fréquentations ne l’avaient écarté de la sélection. Il a joué à Marseille, Nice et Toulon.
Klaam : – La carte du Milieu varois, en somme…
Cardetti : – Au terme de sa carrière, sa reconversion au poste d’entraîneur a accouché de palpables victoires. Il a maintenu Nîmes pendant de longues saisons en première division, ce qui n’était pas une mince affaire. Ensuite, il s’est grillé par passion…
Klaam : – Qu’entendez-vous par passion ?
Cardetti : – Des fausses factures pour son club, dans lesquelles il n’a pas touché un traître centime ! Pardo est un pur. La preuve ? Les juges ne l’ont pas raté : six mois avec sursis et six fermes. A sa sortie, il a repris Toulouse, histoire de s’éloigner de la région, mais le cœur n’y était plus. Son président l’a limogé. Des rumeurs de proxénétisme couraient sur son compte… »
Il releva la tête.
« C’est alors que je l’ai tiré de l’ornière…
Klaam : – C’est-à-dire ?
Cardetti : – Je l’ai soutenu contre vents et marées. Depuis, il s’est refait une santé et a monté une agence de joueurs au nom du fiston. De temps à autre, il effectue pour mon compte quelques missions. Toujours avec la plus grande satisfaction… Que je sache, vous n’avez pas eu à vous plaindre de ses services !
Klaam : – Si je vous suis, votre blanchisseur nous vient du football et possède un casier judiciaire. Ce n’est pas ce qui se fait de mieux, comme carte de visite !
Cardetti : – Entre-temps, Roland a eu la bonne idée de concevoir au casino de M*** l’arnaque qui vous sauve la mise. Le principe est simple comme une bonne recette :
° cibler des joueurs fortunés au profil de flambeurs ;
° les entraîner à Las Vegas pour des parties de poker truquées ;
° les plumer et les mettre sur la paille ;
° les placer dans l’incapacité de rembourser (le secret de la réussite) ;
° leur proposer un prêt sans intérêt, histoire qu’ils vous soient de surcroît redevables d'une fière chandelle !

Klaam : – En fait de recettes sulfureuses, votre associé ne manque ni d’imagination, ni de culot…
Cardetti : – Ni vous de chance : le blanchisseur présente un profil de joueur endetté à hauteur de dix millions...
Klaam : – Le hasard fait bien les choses. Peut-on savoir par le menu ce que nous réserve en surprise le chef ?
Cardetti : – Le mieux serait encore que Pardo vous l’expose !
Klaam : – Où peut-on le rencontrer ?
Cardetti : – Vous le trouverez à cette table ce soir même...
Klaam : – Divine surprise ! Mon avion décolle à une heure du matin...
Cardetti : – Ça nous laissera le temps du dîner !
Klaam : – Auparavant, une demi-heure de repos me prodiguerait le plus grand réconfort… Le trajet et le climat ont achevé de m’éreinter !
Cardetti : – Dix heures au Belvédère vous agréent-ils ?
Klaam : – Au mieux !
Cardetti : – Mon chauffeur vous attendra pour neuf heures trente en bas du Sofitel. »
Je l’ai mouchée, l’empêcheuse de tourner en rond ! Quand je pense qu’on en fait tout un plat…
Quelques secondes passèrent, le temps du triomphe docile. Stupeur : elle ne s’était toujours pas levée !
Klaam : – Est-il trop tard pour vous entretenir du véritable motif de ma venue ?
Cardetti : – Parce que dix millions pour vous, c’est une paille ?
Klaam : – Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Balthazar nous a coupé l’herbe sous le pied et…
Cardetti : – Si c’est une manœuvre de diversion, je vous avertis…
Klaam : – Si nous avions voulu vous arnaquer, pensez-vous que nous aurions manifesté ce souci de la transparence ?
Cardetti : – Je veux mon fric, un point c’est tout !
Klaam : – J’ai mieux à vous proposer !
Cardetti : – Désolé, je ne crois pas aux mirages !
Klaam : – Et aux miracles ?
Cardetti : – Laissez-moi trouver le sorcier de la bande : Lyotard ou Marchal ? »
Elle ignora avec superbe le trait.
Klaam : – Le marché des armes devient de plus en plus incertain…
Cardetti : – Pour les Français, je n’en doute pas une seule seconde !
Klaam : – Marchal vous a retenu pour une mission révolutionnaire ! »
Il explosa.
« Quand cesserez-vous de tourner autour du pot ?
Klaam : – Avez-vous déjà entendu parler de prostitution, monsieur Cardetti ?
Cardetti : – Les putes ? Laissez-moi rire ! Une infection plus répugnante que les cafards – pour un rapport qualité/prix très médiocre qui plus est…
Klaam : – Le cliché est éculé... Je faisais référence à la nouvelle école. »
Cardetti secoua la tête.
« Plus vous parlez, et moins je vois où vous voulez en venir !
Klaam : – Les filières structurées ont depuis longtemps remplacé les Jules à une ou deux filles. Les Slaves ont compris les premiers que la chute des régimes procommunistes ouvrait le marché de l’Ouest à une main-d’œuvre du meilleur rapport qualité/prix. Le partage des tâches assure l’impunité totale : les hommes de main investissent les trottoirs ; les têtes pensantes manœuvrent à l’ombre de leurs frontières. Depuis cette mutation, le marché pèse plusieurs milliards de dollars à l’année en France !
Cardetti : – Attendez… Vous n’escomptez quand même pas que je lève quelques putes pour les nababs de Belleville ?
Klaam : – Vous n’y êtes pas ! Les Européens se lassent des blondes aux pommettes saillantes… D’ici quelque temps, la mode sera aux reines noires, le plus formidable gisement de matière première auquel un spéculateur puisse rêver, un potentiel inexploité et corvéable à merci – un magot exposé à la vue et au su de tous…
Cardetti : – Jamais je ne m’abaisserai à servir de rabatteur pour putes de rue ! Jamais !
Klaam : – Croyez-vous que les petits caïds et les psychopathes de guérite manquent au bataillon ? Nous profilons la pièce rare, l’individu en mesure de coordonner l’ensemble du trafic. Vous avez été retenu pour devenir le cerveau de la Traite des Noires en Afrique de l’Ouest…
Cardetti : – Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Vous vous payez ma tête ?
Klaam : – Tout le contraire ! Le port de Belleville représente la passerelle idéale pour servir de tête de pont aux candidates à l’exil !
Cardetti : – Concrètement, quelle fonction me réservez-vous dans votre bel organigramme ?
Klaam : – Votre carnet d’adresses représente une assurance tous risques pour le montage de la filière tandis que votre façade nous assure une discrétion optimale. Notre principal ennemi n’est pas la concurrence – c’est la jalousie ! Imaginez qu’on apprenne notre reconversion sur un créneau dont le potentiel se chiffre en milliards…
Cardetti : – Et mes partenaires américains ? Si je les laissais tomber, inutile de vous faire un dessin sur le traitement dont ils me gratifieraient !
Klaam : – Qui vous parle de dénoncer vos précédents contrats ? Surtout ne modifiez pas d’un iota vos habitudes ! Tant que l’on ne flaire pas vos nouvelles prérogatives… »
Le front de Cardetti se dérida.
« Je reste sceptique… Contrairement aux armes, mon savoir-faire dans le domaine est nul… Et le vôtre aussi ! Quand on voit vos ennuis judiciaires à l’heure actuelle…
Klaam : – Chaque filière sera indexée sur le système de la franchise.
Cardetti : – Et la collecte de l’argent ? Les loufiats ponctionneront comme des sangsues chaque échelon de la chaîne. Résultat : le profit tombera dans l’escarcelle des chefs de gang. Nous nous serons démenés pour des cacahuètes ! Les armes présentent quelques risques, mais elles ont l’avantage de rapporter un paquet !
Klaam : – Pourquoi se démener à gérer les filières ? Nous nous payerons sur les entrées en Europe et le suivi des titres de séjour. Les caïds ne disposent pas de l’entregent pour organiser les circuits de l’immigration clandestine. Nous n’aurons pas à courir après l’argent – nous nous serons rendus indispensables !
Cardetti : – Ainsi les réseaux se rembourseraient sur le travail des filles… Et si nous étions remontés ?
Klaam : – Grâce aux franchises, le cloisonnement est assuré. Les enquêteurs bloqueront aux responsables des filières. Sans compter que nos milliards seront toujours plus persuasifs que les millions alloués par les gouvernements à la lutte contre le proxénétisme… »
Elle haussa le ton, emportée par la passion.
« Nous infiltrerons les marchés d’Espagne, d’Italie et de France ! Nous tirerons parti des législations néerlandaises ou allemandes pour nous emparer du magot !
Cardetti : – C’est bien beau, vos discours, mais qu’est-ce que j’y gagne ?
Klaam : – Vous serez la pierre d’angle d’un marché générateur de milliards… Le plus rentable et le moins risqué de l’avenir !
Cardetti : – Bien le merci, je ne travaille pas pour la gloriole ! J’exige une offre concrète en sus de mon dû !
Klaam : – Où avais-je la tête ? Votre clause d’entrée vous assure un cash-flow de cinquante millions de dollars.
Cardetti : – Pour ma pomme ?
Klaam : – Payables comptant mars. A condition que vous rencontriez Marchal et Chanfilly courant janvier…
Cardetti : – Pas question ! Avec la profusion de services secrets sur Belleville, les retrouvailles accoucheraient d’un traquenard inévitable ! »
Malgré ses réticences, son agressivité initiale avait laissé place à un état d’esprit constructif. Klaam, en fine psychologue, n’avait pas manqué de noter l’évolution.
Klaam : – Une rencontre sur vos terres ? Allons ! La présence conjointe de Marchal et Chanfilly rameuterait tous les mouchards de la place ! »
Il marmonna une réponse incompréhensible.
Klaam : – Par contre, personne ne songerait à vous retrouver du côté de Saint-Pétersbourg…
Cardetti : – La Russie ? Même pour cinquante millions, je ne prends pas un tel risque ! Je ne suis pas encore sénile !
Klaam : – Y compris si Karpak sert de courroie de transmission ?
Cardetti : – L’oligarque du pétrole ? Que viendrait-il faire dans cette galère ? Il a mieux à faire que de perdre son temps pour des broutilles !
Klaam : – Karpak fait partie intégrante du plan ! C’est lui le cerveau, si vous voulez tout savoir… Avec une telle caution, vous n’avez rien à craindre. Sans compter que vous bénéficieriez de la logistique du RM pour le voyage…
Cardetti : – Et pour mes dix millions ? »
Un vrai chien enragé ! Elle laissa poindre une certaine dose d’agacement.
« Ne me suis-je pas engagée à ce que vous touchiez l’intégralité du contrat ? »
Cardetti changea de contenance. Son intérêt ne laissait guère de doute sur ses intentions : l’affaire était sur le point de se conclure. La chaleur avenante qu’il afficha soudain contrasta avec son agressivité initiale.
Cardetti : – Bien, vous recevrez ma réponse sous peu… Avec un tel cash-flow, mes hésitations fondent comme neige au soleil ! Vous verrez, Pardo maîtrise parfaitement la situation ! A ce propos, les notes qu’il m’a remises nous seront un précieux gain de temps. »
Rangeant le dossier que lui avait tendu Cardetti, Klaam en resta là. Point n’était besoin de le braquer en insistant lourdement.
« Le temps de me reposer…
Cardetti : – Mon chauffeur vous attendra pour neuf heures et demie ! »
Soixante millions de dollars pour deux affaires… Pour une telle somme, Cardetti aurait concouru à toutes les entreprises, celles du diable compris ! Ses promesses envers Pardo s’effondrèrent du même coup. Celui qui, quelques heures auparavant, lui était indispensable devenait un second couteau dont l’intérêt passait au second plan.

Sofitel de Belleville, 20 heures 49.

Klaam s’allongea sur l’immense lit à baldaquin de sa chambre. Malgré le climat tropical propice aux charmes de la sieste, le dossier élaboré par Pardo sonnait comme une charge dont elle se serait volontiers passée. Avant même de l’avoir rencontré, ce Pardo l’indisposait. Sans la nécessité d’amadouer Cardetti, elle aurait opposé un veto définitif à son implication. Elle commença mollement la lecture, luttant contre les séductions insidieuses du sommeil.

‘‘Deux jumeaux. Luc et Alain Méribel. Riches héritiers du groupe Claude Méribel. Depuis sa mort l’année dernière, ils se livrent une guerre larvée.

GROUPE LUC MERIBEL TOURISME (GLMT).

Mention très bien, bac C, Sciences po, E.N.A., fierté de la famille. Après avoir couru les filles, s’est marié il y a quatre ans avec une avocate d’affaires australienne, Helena. Deux enfants, Florent et Estelle, quatre et deux ans.
Equipe performante autour d’un administrateur de haute volée : Crétier, énarque. Politique de développement centrée sur l’immobilier. Premier parc de Clairlieu. Trois restaurants, un palace. A racheté les parts immobilières d’Alain.

GROUPE L’ARC EN CIEL (ALAIN MERIBEL).

Adolescence rebelle. Fréquente les banlieusards sans relief des Tamaris. Mentalité tiers-mondiste. Rêve de lancer une association d’aide aux orphelins d’Afrique. Etudes laborieuses. Fumeur de haschich. Très complexé par rapport à son frère. Se croit raté. Sous la pression paternelle, décroche un DESS en sciences éco. Marié avec Betty, charmante sage-femme originaire de Tours. Deux enfants, Camille et André, quatre et deux ans. La trompe. Après le mariage, s’est mis à jouer. Grosses pertes dans un tournoi de poker arrangé à Las Vegas. Contraint de reprendre ses actifs à cause de la dette.

L’allusion fit sourire Klaam.
« Grosses pertes… Le drôle ne manque pas d’air ! »
Elle reprit la lecture.

Actifs : A vendu ses actifs immobiliers à Luc (2X3 millions d’euros). Du coup, son groupe se limite au Chamois, haut lieu des folles nuits de Clairlieu pendant la saison d’hiver, et à une pizzeria chic, le Monte-Cristo.

Relation L./A. hypocrite. Officiellement, déjeunent une fois par semaine ensemble. En fait, L. n’a pas pardonné la manœuvre. Alain aurait repris le groupe dans un but humanitaire, le projet Arc-en-Ciel, monté avec Jeannot et Abdel, ses deux meilleurs amis (origines : Dahomey et Maroc), deux bons à rien, l’un RMIste et l’autre mécanicien. Association pour les orphelins d’Afrique. A. a baptisé son groupe du nom de l’association ! L. est coincé : s’il proteste, il passe pour un ambitieux. Du coup, l’image publique d’A. est au zénith. La jet set l’a adopté comme un patron décalé à la générosité immense. Ami des plus grandes stars et de Juliette de Malebrac, la célèbre journaliste people. Le grand public le connaît pour sa philanthropie et son engagement.
Important : A. a donné son feu vert pour l’ouverture de la Fondation de l’Arc-en-Ciel, installée aux Tamaris. Abdel en sera le directeur. Son but : accueillir de jeunes orphelins du Maroc et du Dahomey pour les insérer dans la société française. Jeannot s’occupera des contacts en Afrique, notamment au Dahomey. Le projet est prévu pour janvier.

PARENTS.

Milieu catholique traditionnel, culture italienne pour le père (le grand-père Meribelli a fait franciser le nom), savoyarde pour la mère, une bigote. Le père Claude (son surnom dans la région). Homme à poigne. A élevé L. comme l’héritier. Considère A. juste bon comme rentier. Mort il y a deux ans d’une rupture d’anévrisme sans avoir préparé sa succession.
La mère a vécu dans l’ombre de son mari, qu’elle a remplacé par le culte de L. Depuis son veuvage, se consacre à des œuvres caritatives. N’a pas son mot à dire dans le groupe. Très affectée par la rivalité de ses deux enfants et de ses belles-filles. Préfère ne rien voir.

Klaam : – Pour les scénarios, pauvre Pardo, il faudra repasser ! A moins que vous ne visiez la série Z ! »
Rendue enjouée par son trait d’esprit, elle lança sur son ordinateur portable la ligne sécurisée du RM.
Chanfilly : – Bien arrivée à Belleville ?
Klaam : – Je viens de lire le dossier que m’a remis Cardetti. Le profil de leur blanchisseur comporte de nombreuses zones d’ombre…
Chanfilly : – Et pour le dossier qui nous intéresse ?
Klaam : – Cardetti réclame le paiement de son dû comme un préalable avant toute négociation ! L’affaire s’engage sur de bons rails !
Chanfilly : – Qu’est-ce que je vous disais ? Ce type a un portefeuille à la place du cœur…
Klaam : – Pour Saint-Pétersbourg, ce n’est pas gagné… Malgré les garanties conjointes du RM et de Karpak, il redoute le traquenard…
Chanfilly : – Vous savez, à partir du moment où ils ne refusent pas, ces loustics acceptent de fait ! J’en viens à ce soir. Maintenant que nous détenons un moyen d’influencer le choix de Cardetti, profitons-en au maximum pour exercer un contrôle sur le blanchisseur !
Klaam : – D’autant que Cardetti n’a rien trouvé de mieux que de s’acoquiner avec un loufiat de la Côte dont la simple mention suffit à me coller l’urticaire…
Chanfilly : – Peut-on connaître l’identité de ce zigoto ?
Klaam : – Un certain Pardo…
Chanfilly : – L’entraîneur mafieux du foot ? Quelle mauvaise plaisanterie me chantez-vous là ?
Klaam : – Vous comprenez pourquoi j’ai préféré vous en référer… Le risque que Cardetti lie notre position à l’égard de Pardo à la sienne envers Karpak n’est pas négligeable…
Chanfilly : – Dans l’ordre de nos priorités, le blanchisseur ouvre la voie à notre dessein véritable ! Ne nous trompons pas de priorité !
Klaam : – A condition qu’il ne devienne pas une source d’ennuis… Un mauvais blanchisseur nous attirerait les ennuis à la chaîne !
Eichmann : – Pas d’affolement ! Avec Cardetti comme partenaire, nous bénéficions d’un professionnel de premier ordre. Rendez-vous compte : Balthazar ne soupçonne même pas son existence ! Il s’avère irremplaçable ! De toute façon, nous aurons l’occasion d’en reparler demain aux petites aurores…
Klaam : – Le rendez-vous au Mirail tient toujours ?
Chanfilly : – Sept heures, motel des Chardons ! »
Il arborait la voix tonitruante des grands soirs. D’évidence, la réussite de la mission de Klaam le galvanisait. Peu rassurée par cette insouciance, Klaam préféra ne pas perdre de temps pour la sieste. A son réveil, elle ne traîna pas pour s’apprêter et descendre. Devant le Sofitel, la voiture de Bonaventure-Désiré, garée avec une ponctualité impeccable, opposa un cinglant démenti à ses préjugés sur les horaires africains.
Comme pour achever de convaincre sa passagère, le chauffeur mit un point d’honneur à conjurer, au prix de savants zigzags, les inspirations déroutantes de la conduite autochtone. Ils se faufilèrent en un temps record jusqu’aux portes du Belvédère. La quiétude presque bonhomme du soir exhalait une dissonance bienvenue en regard de la rudesse suffocante, presque agressive, de la journée.
« Nous sommes arrivés, madame, annonça, avec une diction impeccable, presque surannée, Bonaventure.
Klaam : – Vous êtes un chauffeur hors pair ! Tenez pour votre service exemplaire, mon brave ! »
Ponctué d’un claquement sec de portière, le généreux pourboire coupa court à tout remerciement intempestif. Bonaventure-Désiré n’existait déjà plus. Devant le Belvédère, un mastoc rasé devisait avec un homme courtaud, chauve et jovial. L’arrivée de Klaam ne sembla pas troubler leur conversation. Au dernier moment, le chauve releva pourtant la tête.
« Le serveur vous indiquera le chemin, madame… »
Parvenue au bar, elle vérifia que Toni n’avait pas menti. Un serveur la conduisit dans l’arrière-salle, où deux hommes sirotaient paisiblement leur pastis. En guise de présentation, Cardetti fit dans la dentelle.
« Vous aimez les grillades ? »
Il salivait à l’idée d’engloutir une pièce fumante de son plat préféré. Rosa fit dans la politesse
Klaam : – J’en raffole…
Cardetti : – Voilà qui tombe bien : notre cuisinier prépare les meilleures côtelettes de Belleville ! Voyez-vous, j’ai horreur de parler affaires la bouche pleine… »
Il se tourna vers Pardo.
« L’avion de madame décolle dans moins de trois heures ! En cas de retard, le directeur de l’aéroport décalerait le vol… Mais Roland saura faire court ! »
D’un geste ample, il lança la discussion.
Klaam : – Monsieur Cardetti m’a informée d’un certain blanchisseur... »
Pardo la coupa.
« Je m’en porte caution ! »
Il transpirait l’arrogance surfaite.
Klaam : – Joueur, volage, manipulateur… Un tableau édifiant de la grande bourgeoisie d’affaires… Ce type ne m’inspire pas !
Cardetti : – Moi non plus ! »
Sidéré par le revirement, Pardo faillit se décrocher la mâchoire. Que signifiait cette trahison ? Décontenancé, il protesta mollement.
Pardo : – Alain s’inspire des mœurs de la jet set !
Klaam : – Hypothèse séduisante… Vos observations résultent-elles d’une formation approfondie en psychologie ? »
Pardo se tourna vers Cardetti. Qu’attendait-il pour moucher l’impétrante ? La réaction escomptée ne vint pas. Cette fois, Pardo préféra ne pas s’attirer d’ennuis et garda le silence lui aussi.
Klaam : – Imaginez les ravages d’un paparazzi lancé à ses trousses…
Cardetti : – Je ne vous le fais pas dire !
Pardo était de plus en plus éberlué. Cardetti se déjugeait d’engagements solennels tenus quelques heures plus tôt ! Etait-il devenu fou ou jouait-il un jeu duplice dont seul son cerveau retors avait le secret ? Comprenant que la situation le dépassait, Pardo se garda bien de contester. Dans le fond, cette trahison l’arrangeait. Il se contenta de protester pour la forme.
« Vous m’en trouverez un autre capable de blanchir dix millions de dollars en France…
Klaam : – Un type qui joue avec un tel aplomb la partition du patron philanthrope pour reprendre ses parts et se donner le beau rôle et qui abat ses cartes avec maestria au dernier moment ? Avouez que le rôle a de quoi inspirer la méfiance… »
Subitement, Pardo réalisa son erreur. L’opposition de Klaam l’arrangeait miraculeusement ! En l’enfonçant, cette garce lui retirait une sacrée épine du pied !
Cardetti : – Le mieux est de nous laisser le temps de la réflexion…
Pardo : – A vous de voir ! Quant à moi, je me tiens sur la réserve…»
Cardetti affecta de s’émouvoir de cette abnégation.
Cardetti : – Ah, ce brave Pardo ! Il donnerait sa chemise pour se rendre utile ! »
Du coup, il en profita pour adresser à Klaam un ultimatum.
« Vous avez une semaine pour soumettre à Roland une alternative fiable !
Klaam : – Avec un juge aussi coriace que Balthazar, nous ne pouvons nous permettre d’attendre davantage… »
Pour se mettre en valeur, Pardo griffonna sur un vieux bout de papier chiffonné et le tendit à Klaam.
« Voici le numéro de téléphone d’un bar de Marseille. Si vous acceptez, commandez une pizza. Si vous refusez, optez pour la carte. Dans les deux cas, je vous contacterai dans les plus brefs délais. »
Cardetti appuya cette proposition pour ménager Pardo, craignant de l’avoir blessé.
« Roland, vous assurerez le suivi. Belleville est une ville trop surveillée pour que nous prenions le risque de nous retrouver… »

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