lundi 23 février 2009

21 décembre 199*.

Aéroport de Bâle, 3 heures 33.

« La carapace de la tortue a cédé ! »
C’est par cet e-mail, dont le style ressemblait à s’y méprendre aux énigmatiques proverbes qui rythment la vie africaine, que Klaam avertit Chanfilly de l’épilogue concluant de son escapade à Belleville. L’atterrissage se fit en douceur. Dans ses bagages, le volet prostitution était amorcé – le volet blanchisseur ajourné et maîtrisé. Elle n’était pas peu fière de cette double réussite. Une fois de plus, elle avait retourné une situation compromise. Non seulement elle avait convaincu Cardetti de suivre l’aventure de la prostitution, mais elle avait évincé le blanchisseur douteux que Pardo voulait imposer. Que demander de plus ? Une douce plénitude étreignait son être. Elle héla un taxi.
« Z.I. du Mirail ! »
Cette enclave industrielle en bordure de Bâle avait ses raisons pour ne pas payer de mine : elle abritait l’antre des plus carnassières spéculations. Les multinationales du café s’y étaient regroupées dans un saisissant élan grégaire pour dicter leur loi d’airain aux petits producteurs d’Amérique du Sud. Son portable grésilla. SMS. Chanfilly. Chambre 34. Elle toqua trois coups et crut s’être trompée de porte. Un sexagénaire rayonnant l’accueillit, bouteille de champagne à la main.
« Chère Rosa, vous prendrez bien une coupe ?
Klaam : – C’est Noël que vous fêtez avec cette exubérance prématurée ?
Chanfilly : – Je n’ai jamais goûté aux réjouissances institutionnalisées ! Je célèbre nos promesses de lendemains radieux et sereins ! »
Après les grillades, le champagne ? Devançant la menace d’ennuis gastriques, Klaam tiqua. Chanfilly ne l’avait pas habituée à tant de légèreté. La fête était-elle pour lui la catharsis aux soucis qui avaient assombri son quotidien ? Dans ce cas, il vendait la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Klaam le lui aurait bien signifié, mais elle craignit de passer pour une impertinente. A ses yeux, plus d’humilité et de réserve n’auraient pas nui au bon déroulement des opérations. C’était incroyable, cette naïveté dont témoignait un homme aussi expérimenté que Chanfilly en manipulations et opérations tortueuses de toutes sortes. Lui qui déjouait les pièges les plus subtils avec une intelligence foudroyante se trouvait pour ainsi dire anesthésié par cette promesse de bonne nouvelle. Il fallait croire qu’il avait senti passer le vent du boulet !
Chanfilly : – Quant à Cardetti, il n’aura pas à regretter son geste !
Klaam : – Curieux personnage ! On jurerait qu’il sort d’un film… Savez-vous que l’impression de rencontrer une sorte d’Al Capone de l’Afrique de l’Ouest m’a taraudée durant toute notre entrevue ?
Chanfilly : – Non sans raison : ce personnage est appelé à devenir une figure incontournable du paysage africain de demain. »
En se concentrant, il retrouva un ton plus en rapport avec le sérieux professionnel dont il ne se départissait jamais.
« Quelles autres nouvelles bellevilloise rapportez-vous dans votre besace ?
Klaam : – Concernant le choix du blanchisseur, Cardetti s’en remet à notre décision.
Chanfilly : – Décidément, une bonne nouvelle en chasse une autre ! Ne vous avais-je pas dit que nous gardions un moyen de pression ?
Klaam : – Pendant le trajet, j’ai eu le temps de peser le pour et le contre. Et je ne suis plus aussi convaincue qu’auparavant de l’opportunité d’écarter Pardo de la course…
Chanfilly : – Manœuvrer avec un mafieux aussi médiatique s’avère pourtant aventureux !
Klaam : – Mon revirement n’est pas le résultat d’un coup de tête, croyez-le bien. Imaginons que nous prenions les choses en main et que la situation se complique, qui assumera le revers ? Et à qui incombera la responsabilité de lever un autre blanchisseur ? Si bien que j’en suis arrivée à la conclusion qu’avec Balthazar dans les pattes, à un mois des négociations, mieux valait refiler la patate chaude à son propriétaire putatif... »
Chanfilly se resservit une coupe de champagne.
« Vous proposez une alternative ?
Klaam : – Mieux : je vous offre le moyen de contrôler Alain une bonne fois pour toutes ! Cet animal a prévu d’ouvrir une fondation d’accueil et d’intégration pour les orphelins du Dahomey et du Maroc…
Chanfilly : – Vous voulez lui mettre la pression ?
Klaam : – Non, je projette de subventionner sa Fondation… Ce sera le meilleur moyen de blanchir les millions de Cardetti en toute impunité ! Les associations caritatives n’éveillent jamais les soupçons ! Elles constituent pourtant de redoutables armes pour légaliser l’argent sale… »
Euphorique, Chanfilly se retint de crier au génie. Il célébra l’heureuse trouvaille d’une ultime coupe. Il nageait dans l’ivresse et la béatitude.

Hall de la gare de Bâle, 9 heures 30.

Fort du soutien inconditionnel de Chanfilly, Klaam avisa une des innombrables cabines téléphoniques qui garnissaient le hall et joignit Freddie comme convenu. La conversation s’engagea sur un air surréaliste.
« Pourrais-je parler à Freddie ?
– Il n’y a guère que moi derrière le comptoir, brave dame ! Que désirez-vous ?
Klaam : – C’est Patricia... C’était pour la pizza aux anchois…
– Parfait ! Pour quelle heure, la livraison ?
Klaam : – Huit heures environ ?
– La Bonne Mère vous souhaite d’ores et déjà un bon Noël et une heureuse année ! »
Dans l’express qui la ramenait à sa résidence secondaire, Klaam se connecta par acquis de conscience au fichier de la DRM. Bien lui en prit. Sa messagerie contenait un message de la Loutre, l’un des pseudonymes du Colonel.

Voici une fiche improbable élaborée par les RG et que le fichier informatique de la DRM a récupérée par la grâce capricieuse d’un informateur anonyme… Amitiés,
La Loutre.

« Une note sur le père Méribel ? »
Elle bénit l’heureux hasard.

Dossier 732 D.

Entreprise maçonnerie vallée Clairlieu. Fondée par le père, Augusto Meribelli.
Rencontre décisive avec le maire de Clairlieu, Auguste Lenoir (père de l’actuel maire, Florian). Au début des années soixante-dix, avènement du tourisme blanc. Lenoir lui confie la réalisation du parc immobilier.
En 1989, la vallée organise les JO d’hiver. Visionnaire, Claude, avec Lenoir, se lance dans l’immobilier. Rénovation de Clairlieu en une station de luxe. En dix ans, Clairlieu pousse comme un champignon. Fréquentée par les milliardaires et la jet-set.
Naissance de l’empire Méribel→dizaines de millions d’euros. L’homme le plus riche de la région.
Méribel et Lenoir tirent leur révérence en 1999. Méribel règle sa succession. Père autoritaire et tout-puissant. Décède d’une rupture d’anévrisme. Emotion considérable. Sa femme, entre deux croisières, œuvre pour des fondations caritatives. Luc héritier naturel. Alain reprend ses parts. Inattendu (#//raisons ?//).
Risques de déstabilisation pour la région/danger mineur : conflit larvé entre les deux frères. Alain cantonné activités associatives. Le véritable patron : Luc.

« Le style télégraphique change heureusement des envolées amphigouriques de Pardo ! »

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