lundi 23 février 2009

28 décembre 199*.

Grand Prix de F1 de la Principauté de M***, 18 heures 08.

Les hymnes à la gloire de l’écurie Ferraro célébraient dans l’exaltation la plus hystérique le triomphe d’Heinrich Scwaeinstig. Le grand pilote allemand avait honoré sa victoire d’un classique magnum de champagne sabré sur le podium. Sa sixième de la saison, la quarante-troisième de sa carrière : un nouveau titre de champion lui tendait les bras, le troisième de rang. Pardo tira Alain par la manche.
Alain : – Qu’est-ce qui se passe ?
Pardo : – Tu verras toi-même… Suis-moi ! »
Faisant fi des recommandations de Klaam, il s’était arrangé pour que la blonde platine Pepita assortisse avec avantage le champagne et les délicieuses tapas de la loge qu’il avait retenue pour son faste et son tape-à-l’œil. Il se serait bien épargné cette peine, mais n’avait guère disposé de meilleure alternative que de desserrer les cordons de la bourse pour amadouer Alain. Le revirement de dernière minute de Klaam l’avait mis au supplice. Se voir réintégré au service de Cardetti alors qu’il se croyait dégagé de ces contraintes sinistres constituait l’espèce de privilèges dont il se serait volontiers passé. Cette rencontre qui aurait dû signer le couronnement de son affairisme se muait en un sombre et funeste imbroglio.
En apercevant les couleurs flamboyantes du stand Ferraro, Alain oublia son stress et sa dette. Le glorieux passé de Pardo dans l’enceinte de la Principauté lui assurait une reconnaissance que la nymphette et les bulles n’auraient pas garantie à eux seuls. Il n’oubliait pas que les flagorneries constituaient le plus flatteur baromètre de sa cote mondaine.
Ravi comme un enfant de son cadeau imprévu, il brûla d’apprendre la surprise que lui réservait Roland, cet homme délicieux, dont il répétait à satiété qu’il était un ami ‘‘charmant et rare’’. Comme Pepita faisait mine de suivre, Pardo prit un air entendu. Il était hors de question que cette hôtesse de luxe mêle sa cuistrerie oiseuse à la surprise attrape-mouches qu’il réservait à Alain ! Cette histoire resterait une affaire d’hommes ! Alain s’émut de perdre un coup et des nibards en or. « Je t’appelle tout à l’heure ! », crut-il bon de signaler dans un élan de tendresse apitoyée, avant de disparaître sous l’amicale pression de son mentor.
Sur le parvis du stand Ferraro, ils fendirent la masse compacte des paparazzis hystériques, des journalistes en quête d’interview et des photographes que le cliché rendait agressifs. Sur un geste entendu de Pardo, les gros bras du service de sécurité s’effacèrent sous des sourires de connivence. De plus en plus bluffé par cette notoriété, gage étincelant de la reconnaissance, Alain crut à une improbable hallucination en surprenant, à l’arrière du paddock déserté, Heinrich Scwaeinstig. Le champion du monde en titre se désaltérait, sa combinaison à moitié dégrafée, manifestement épuisé par l’effort. Alain ne se sentit plus.
Alain : – Formidable : Heinrich ! »
Alerté par les cris d’orfraie, le pilote se retourna et tomba sur Pardo. Son visage s’allongea de surprise.
« Roland, qu’est-ce que tu demeures ici ? »
Alain n’en crut pas ses yeux : Scwaeinstig connaissait Pardo !
« Tu… tu parles à Scwaeinstig ?
Pardo : – Alors Heinrich, toujours pas fatigué de gagner ? A force, tu verras, tu vas finir par te lasser… »
Noyé par la timidité, Alain resta sur la réserve.
Pardo : – Bon sang, Alain, qu’est-ce qui t’arrive ? Ne me dis pas que tu fais la gueule devant ton Noël ? »
Il le traîna jusqu’au pilote pour expédier les présentations.
« Mon grand ami Alain Méribel est le plus illustre homme d’affaires de la Haute-Savoie. »
Toujours sans voix, Alain s’inclina à moitié tremblotant.
Pardo : – Heinrich réside à M*** la majeure partie de l’année. C’est ici qu’il a appris à chatouiller le français !
Scwaeinstig : – Et que nous afons eu le grand plaisir de faire rencontre ! »
Pardo alluma une cigarette.
Scwaeinstig : – Ch’aime pokou ski de piste !
Pardo : – Le Bon Dieu ne nous a pas réunis pour rien : Alain est le patron du fameux Chamois !
Scwaeinstig : – Le Chamois de Clairlieu ? Ch’ai fait là-bas une soirée wunderbar en mars !
Alain : – C’est curieux, je n’en ai conservé aucun souvenir alors que…
Scwaeinstig : – Achso, les pneus Montelli étaient organisés une collecte VIP !
Alain : – Mon Dieu, où avais-je la tête ? Je célébrais à Paris les trente ans du mariage de la duchesse de Parme. C’est ce bon Pelletier qui vous a reçu !
Scwaeinstig : – Also, zur ! Che me rappelle ce monzieur drès préventif ! »
Un grand tumulte mit un terme à la conversation. A l’extérieur du paddock, des journalistes avaient détecté une brèche dans le dispositif de sécurité. Sûr de son fait, un journaliste insista pour obtenir une interview. Scwaeinstig s’inclina.
« Désolé, mon kontrat est opliché à distribuer l’exclusive de la télé deutsch ! Ce fut enchanté pour moi ! »
Comme il s’éloignait, happé par l’hydre impitoyable de la renommée, Pardo tira Alain par la manche.
« Viens, on n’a plus rien à faire ici !
Alain : – À chaque fois que je rencontre un champion, je ressens à son contact la même simplicité, la même chaleur, la…
Pardo : – On va se boire un coup ?
Alain : – Mon Dieu, où ai-je la tête ? La pépète !
Pardo : – Laisse-la où elle est ! Imagine la tronche de Betty si on lui contait tes fredaines…
Alain : – Ce n’est pas de ma faute si je suis esclave des belles formes… »
Son portable l’interrompit dans son envolée pompeuse.
Pepita : – M’auriez-vous oubliée ?
Alain : – Vous plaisantez, ma chère ! Je désire plus que tout goûter aux charmes incomparables de votre présence !
Pepita : – Que diriez-vous d’un dîner tex-mex ? Un délicieux petit restaurant tenu par une authentique mama mexicaine…
Alain : – J’y consens, mais à condition de reporter les retrouvailles à l’heure du goûter ! Les avions, n’est-ce pas, n’attendent guère… »
Par pure convenance, il convia Pardo aux retrouvailles.
« Tu te joins à nous ?
Pardo : – Tu n’y penses pas ! Le meilleur resto à bouillabaisse de la Canebière m’ouvre les bras pour un transfert qui sent le roussi. Bonne Mère, avec la meilleure volonté, mon amour de la rascasse surpasse de loin la perspective d’une nymphette au plumard ! Bien le merci, j’ai donné du temps de ma splendeur… »
Son clin d’œil pétillant en dit plus qu’un redondant inventaire. Alain soupira d’hypocrisie. En réalité, cette défection l’agréait. Dans l’enfer labyrinthique de ses complexes, l’ombre rivale de Pardo lui apparaissait comme une menace contre laquelle il ne ferait pas le poids.
Pardo : – Une fois consommée, n’oublie pas de la ranger dans son bocal ! Gare aux allumeuses, ce sont les pires ! Sans compter que les journaux people ne te rateraient pas… Un homme marié volage sent le souffre…
Alain : – Si ça peut te rassurer, je ne la solliciterai que le temps d’une nuit ! »
Ils étaient parvenus devant le Circus.
Pardo : – J’ai réservé une table. On entre ? »
Alain se sentit soulagé d’un poids. Il allait enfin se délivrer du sujet qui lui pourrissait la vie, cette dette dont il ne parvenait à se défaire, malgré ses efforts pour s’affranchir des tracasseries. L’intérieur du bar-bowling l’écœura. La déco kitsch, ruisselant de néons phosphorescents agressifs, lui arracha une grimace révulsée. En matière de goût, son snobisme se conformait scrupuleusement à l’orthodoxie classiciste de la duchesse de Valmont, l’arbitre des élégances du boulevard Saint-Germain.
Pardo : – Toi qui aimes jouer, je te propose une charade…
Alain : – Je n’ai jamais été friand de ce genre de jeux et…
Pardo : – Ecoute au moins, tu ne sais même pas ce qui t’attend ! Voilà : mon premier t’a rendu de grands services ; mon second peut te pourrir la vie ; mon troisième te la changer définitivement… Qui suis-je ? »
Désarçonné, Alain fronça les sourcils. L’heure ne se prêtait pas aux jeux de société !
Alain : – C’est un rébus ? Vraiment, je sèche…
Pardo : – Pour te mettre sur la piste, un indice : mon premier t’a avancé dix millions gratis…
Alain : – Si c’est ton ami, tu n’es pas sans savoir que j’ignore jusqu’à son nom !
Pardo : – Très bien… Qui est mon second ?
Alain : – Je ne vois pas…
Pardo : – Prends garde ! Tu brûles déjà ton dernier joker…
Alain : – C’est quoi, cette charade biscornue ?
Pardo : – Les jeux ne t’attirent plus ?
Alain : – Bien le merci, j’ai retenu la leçon ! Je donne ma langue au chat !
Pardo : – Ce n’est pourtant pas sorcier : mon second était ta dette ! Enfin, tout n’est pas fini. Il te reste encore mon troisième à découvrir… »
Le serveur vint interrompre le jeu.
Pardo : – Deux blue maries ! »
Il se tourna vers Alain pour couper à d’inutiles digressions.
« Tu m’en diras des nouvelles : le Circus propose les meilleurs cocktails de la Côte ! Pour en revenir à nos moutons, mon troisième est identique à mon premier… »
Alain commença à trouver Pardo assommant. Quand le lâcherait-il avec son rébus sans queue ni tête ?
Alain : – Je ne vois pas en quoi mon prêteur pourrait transformer ma vie. J’ignore jusqu’à son nom !
Pardo : – Apprends qu’il s’appelle Lucien Feliciggiani ! »
Soufflé par cette confidence, Alain baissa la tête. Il discernait mal les motivations qui animaient Pardo. Pour meubler le silence et sortir Alain de son mutisme embarrassé, Pardo se lança dans des explications fumeuses.
Pardo : – La semaine dernière, lors d’un dîner à Nice, nous avons abordé le volet remboursement...
Alain : – Ma dette ?
Pardo : – Comme tu y vas…
Alain : – Dix millions ne s’effacent pas d’un coup de crayon ! »
Les blue maries arrivèrent. Pour se détendre, Alain engloutit la moitié du verre.
Pardo : – Laisse-moi t’exposer la scène. Entre la poire et le fromage, Lucien a évoqué ses projets d’investissement. Ils tournent autour du tourisme et se montent à dix millions sur cinq ans. Tu saisis le rapprochement ? »
Alain, à bout de nerfs, s’agita sur son tabouret.
Pardo : – Tu t’énerves, tu t’énerves, tu ne me laisses même pas préciser…
Alain : – J’en peux plus, moi ! Tu te mets à ma place une minute ? Tous les jours, je me trahis ! Avec sa femme, Luc me pourrit à la première occasion. Le pire, c’est que je ne peux même pas lui donner tort ! Quelle considération puis-je exiger après ce que j’ai fait ? Maintenant que je lui ai revendu mes parts, je veux en finir ! Le plus tôt sera le mieux ! Je te rappelle que le remboursement commence courant janvier, en même temps que l’ouverture de la Fondation !
Pardo : – Si tu m’écoutais ! Ce que j’ai à te communiquer aurait de quoi te calmer les nerfs…
Alain : – Je voudrais bien t’y voir, moi, à ma place ! »
Un geste de dépit ajouta à son exaspération.
Pardo : – Si je te disais que tes quatre millions sont placés entre parenthèse, ça te ferait quel effet ? »
Alain le dévisagea d’un air ahuri.
Pardo : – Je vois que tu n’embrayes pas. Je m’explique : Lucien a retenu ton groupe pour investir. C’est pas une grande nouvelle, ça ? »
Son sourire triomphateur et cajoleur s’effaça bien vite devant la réaction extravagante d’Alain. Loin de se réjouir, ce dernier s’était pris la tête entre les mains. Pardo le dévisagea, désorienté.
Pardo : – Tu as eu une vision mystique digne de la Bonne Mère ?
Alain : – Le… C’est… Damné… »
Il ferma les yeux. La douleur était trop intense pour pleurer. Le destin le jouait, une fois de plus. La fois de trop !
Il se leva.
Pardo : – Olala, qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce qui se passe, tu vas où ?
Alain : – Je reviens…
Pardo : – Tu es sûr que tout va bien ?
Alain : – Un… Juste un coup de pompe, trois fois rien, le temps de… que je me ménage. C’est vrai, je n’arrête pas, en ce moment… C’est trop ! »
Pardo fronça les sourcils, déstabilisé par le charabia désopilant qui s’était emparé d’Alain. Ce n’était pourtant pas son genre que d’attirer l’attention en s’inventant des maladies. Comment une bonne nouvelle pouvait-elle engendrer l’effondrement ?
Alain avait de quoi broyer du noir. Pour se sortir de la quadrature infernale de la dette, il avait mis Pelletier au parfum de son infortune. Partiellement. Les quatre millions résultaient d’une bêtise de jeunesse survenue un soir d’égarement à Las Vegas. L’inoxydable bras droit crut que son heure était arrivée. Lui qui avait usé de nombreux stratagèmes pour assouvir son ambition (Alexandra Kazan, entre autres, c’était lui. Il avait initié les présentations et favorisé la rencontre, en pure perte). Cette fois, le moyen se présentait, imparable, de placer son patron définitivement sous sa coupe.
Sitôt la nouvelle en sa possession, il passa au peigne fin les investisseurs susceptibles de concurrencer Luc. Il n’avait jamais accepté que l’héritier présomptif l’ait laissé sur le bas-côté après la reprise. Après les efforts qu’il avait consentis pour servir le père Claude, il se sentit trahi de la plus renégate des manières ! Le Chamois était sa vie ; la réussite de son patron, quel qu’il soit, serait la sienne. Non content de ramener de sa pêche miraculeuse Fiodor Pavlovitch, le meilleur client du Chamois, il avait charrié un projet d’investissement somptueux. La Mairie mettait aux enchères des terrains en haute montagne. Une juteuse cession immobilière. La mode était à l’altitude. Le Gotha ne jurait plus que par le grand air des cimes. Alain avait vite fait ses comptes. Pour dégager un bénéfice net de quatre millions, il fallait investir la même somme.
Au départ, un profil comme celui de Pavlovitch aurait inspiré de la suspicion à n’importe quel individu sensé. D’un abord volubile, ce gaillard à l’allure candide expliquait sa fortune par la reconversion à la périphérie de Saint-Pétersbourg d’un hangar à poulets en un labyrinthe de pistes. Du coup, il se présentait avec emphase comme le patron de la plus grande discothèque d’Europe. Même Alain ne se berçait guère d’illusions sur l’identité réelle de ce flambeur béni des commerçants. Pavlovitch arborait le profil idéal de l’affairiste louche que la Russie produisait avec prodigalité depuis la fin du communisme. Mais Alain était prêt à tous les sacrifices pour se tirer coûte que coûte des rets du passé. Il était épuisé de se débattre dans une souricière sans fin ni fond. Sale ou pas, cet argent arrivait à point nommé pour boucler les enchères.
Pelletier noua les tractations sans peine. Pavlovitch se montra enthousiaste. Ses conditions s’avérèrent favorables au point d’apparaître invraisemblables. Pour sa mise de départ, il se contentait d’un malheureux million et 25% de participation dans l’Arc-en-Ciel. Une misère qui n’annonçait en rien l’aubaine ! Alain conservait sa majorité et empochait trois précieux millions avec une facilité déconcertante. Son horizon s’éclaircissait. Il aurait six longues années pour réunir le million manquant ! Le défi ne tenait pas de la gageure. Ensuite, il mènerait la vie qu’il aurait toujours souhaité mener. L’Arc lui tendait les bras. Abdel et Jeannot seraient récompensés de leur amitié inoxydable…
Pelletier avait concocté un plan d’une limpidité imprenable. L’appel d’offres se clôturait le 28 décembre à 18 heures. Il suffirait de surenchérir au dernier moment sur la mise de Luc. Comment se serait-il méfié ? Dans son esprit, l’immobilier constituait sa chasse-gardée ! Un détail ennuyait encore Pelletier : la relation fusionnelle qu’entretenaient Luc et Alain menaçait d’anéantir le bel agencement de ses desseins. A son grand étonnement, Alain n’hésita pas. Pour s’extirper des griffes de son enfer, il était résolu à toutes les turpitudes. Sous le contrôle de Pelletier, la transaction bancaire se déroula dans le plus grand secret. Tous les dés étaient prêts pour que la réussite du plan soit au rendez-vous.
Il ne restait plus à Alain qu’à jouer la comédie jusqu’au bout. Cela impliquait qu’il accomplisse le baiser de Judas. Selon un protocole aussi immuable qu’hypocrite, les deux frères se retrouvaient le samedi en tête à tête. Ce soir, Alain dînait justement avec Luc. Cette fois, le rendez-vous sortait de l’ordinaire badin et gentiment fielleux. La semaine dernière, Luc avait exigé qu’on aborde la question épineuse des terrains de haute montagne ! Il n’était que temps de mettre cartes sur table et de parvenir à un accord clair pour tout le monde. Luc, échaudé par la volte-face de son frère, jouait la carte de la confiance et du dialogue. Alain s’était préparé à déjouer cette explication. Il avait affiné sa rhétorique duplice et mensongère. En gros, il affirmerait n’être pas intéressé par les terrains.
Dans l’esprit d’Alain, aussi surprenant que sa réaction paraisse, l’annonce de Pardo, loin de se révéler salvatrice, sonnait avec plus de fiel qu’un coup de poignard dans le dos. Le supplice de Sisyphe le frappait de sa récurrence raffinée ! Les circonstances ne manquaient pas de cruauté : la nouvelle censée constituer sa délivrance l’empoisonnait davantage ! Comment expliquer à Pardo qu’il avait sollicité sans lui en référer les services d’un investisseur russe ? Comment refuser l’entrée dans le capital de Feliciggiani ? La fatalité tragique hantait sa destinée. Le mensonge était sa seule dérobade, qui le précipitait vers des maux toujours accrus…
En se lavant les mains, il eut l’impression que son reflet dans la glace s’éparpillait en une myriade d’éclats réfractaires. Il se trouva usé, le teint blafard et hagard, les yeux rougis et bouffis. A défaut de recouvrer une beauté, l’eau qu’il se passa sur la figure lui permit de se ressaisir. Pardo ne tolérerait pas d’effondrement. Il n’avait d’autre choix que de jouer la comédie. Biaiser avec la réalité. Il s’en sortirait !

Arrivée du train Clairlieu-Eonville en gare d’Eonville, 18 heures 28.

L’écoulement des wagons engendrait la cohue fâcheuse, la foule désarçonnée et le désordre bigarré, un affairement absurde à des fins de retrouvailles improbables. Sur le quai principal, Abdel se faufila entre la cohorte des bagages pour gagner le hall central. Les retrouvailles avec la place Thiers furent sans surprise. Aucun changement n’avait perturbé son agencement depuis sa dernière visite. Les mêmes kebabs et les mêmes sandwicheries encadraient les mêmes hordes de chiens efflanqués, flanqués de Slaves immuablement tatoués et shootés. Abdel les dévisagea avec un mépris souverain. Les manouches et les Gitans lui répugnaient – des dégénérés qui buvaient leur temps dans le plus impie des blasphèmes. Grâce à Dieu, lui vivait en pieux musulman !
Ce rappel pavlovien à ses devoirs sacrés lui arracha un tic de douleur. A rebrousse-poil de son modèle de piété, l’adultère assombrissait son quotidien. La Religion autorisait la polygamie, pas la fornication. Si elle avait appris sa conduite, son épouse aurait obtenu sans peine le divorce. Au mieux, l’imam des Tamaris aurait tranché dans l’intérêt du fils. Abdel y laissait dans tous les cas son crédit. Il avait beau se raisonner, rien n’y faisait. Malgré toutes ses qualités, Aicha lui demeurait indifférente. C’était Samia qu’il aimait.
« Un kebab, s’il vous plaît ! Avec beaucoup de sauce blanche et de piment ! »
L’histoire récente du patron turc arrêté dans le Sud de la France ne le découragea pas. Cinq variétés de sperme avaient été retrouvées dans la sauce. Il faisait humide et froid – pas loin de moins cinq. Le kebab proposait bien une cantine, mais l’appel de la solitude s’avéra plus impérieux que le confort d’un espace chauffé. Abdel se retira à l’écart des grands escaliers qui formaient autour de la place un dénivelé important, au grand dam des commerçants, excédés du bazar de tous les diables qu’occasionnait chez les skatteurs leur défi de sauter la rampe centrale. De temps à autre, dans un fracas assourdissant, un streetkamikaze se brisait avec bonne grâce l’échine sur le bitume.
Le spectacle des cascades de ces casse-cous de l’underground le lassa vite. Il les assimilait à des avatars branchés de SDF bulgaro-roumains. Au contact de la viande grassouillette, le motif de sa venue revint à la charge sans ménagement. Lui qui avait misé son existence sur le projet Arc-en-Ciel venait d’apprendre la plus funeste des catastrophes. Depuis, son horizon se lézardait. Il n’aurait pas dû miser sa vie sur l’Arc. Ce projet grandiose l’avait arraché à son quotidien de mécano et sa double vie de musulman adultérin. A qui la faute ? Aicha n’avait pourtant rien à se reprocher. Pour apprivoiser les contours de son infortune, il essayait de ressasser des réponses lénifiantes sur les desseins impénétrables de Dieu. En bonne logique, il aurait dû épouser Samia. Pourquoi sa famille venait-elle d’Agadir et non de Mekhnès, comme celle de Aicha ?
Le Destin les avait confrontés à cette tragique question dès la terminale, l’année où Jeannot quitta Clairlieu pour Eonville. L’année où sa maman fut embauchée dans l’unique resto africain de la cité lorraine. Le patron cherchait un cordon-bleu pour mitonner les plats traditionnels aux nostalgiques du pays. Après cent entretiens d’embauche, il n’aurait pu mieux tomber. Pour maman Jeannot, ce travail signifiait l’allègement de son quotidien. Efficace quand on élève son fils unique à la force du poignet parce que le papa a fui la paternité en trouvant refuge au Dahomey… Depuis, Jeannot n’avait plus jamais eu de nouvelles de son père. S’était-il remarié ? Avait-il eu d’autres enfants ? Se rappelait-il encore qu’il avait laissé un rejeton en France ?
Pour compenser le départ de ce frère de galère et de fume, Abdel avait trouvé comme exutoire la belle Samia. Cette fille d’immigrés déterminés à s’intégrer revendiquait tout comme lui une identité franco-musulmane en forme de mosaïque. Malheureusement pour Abdel, la conformation aux principes ataviques, condition sine qua non du mariage, s’avéra cruelle : Samia n’était pas originaire de Mekhnès. Sous la pression insidieuse, Abdel se résolut au sacrifice. Il lui coûtait moins d’épouser l’élue de son oncle, une fille de notables du bled, que de déshonorer sa famille. Il avait essayé de positiver. Ainsi répétait-il que l’influence d’Aicha s’était révélée plus que positive. Ne l’avait-elle pas ancré dans la religion en ajoutant à ce premier présent un magnifique fiston ?
Il se reprit du mieux qu’il put. Que valaient ces soucis en comparaison du terrible sort qui le frappait ? Au moment où il avait le plus grand besoin de la Fondation comme exutoire à sa vie écartelée, au moment où l’Arc était sur le point d’ouvrir ses portes, la réputation d’Alain, la dernière branche du trio auréolée de toutes les vertus, se fracassait. Le mythe du saint-capitaliste-au-grand-cœur volait en éclats. Quel scandale ! Comment Abdel aurait-il pu le pressentir ? Des Tamaris au Chamois, la réputation du patron charismatique et décalé prévalait avec une unanimité irréfragable. Jusqu’à la semaine dernière, Abdel adhérait sans réserve à cette version fédératrice.
Coup de tonnerre, coup du lapin. Samia Ben Zeltout fit voler en éclats son aveuglement. Elle n’était pas seulement la maîtresse de cœur d’Abdel. Couronnement logique de brillantes études de droit, un concours enlevé haut la main l’avait expédiée au RM. Le Colonel, bluffé par sa pugnacité, l’avait intronisée à la succession de Klaam. La Suissesse n’était pas éternelle. Il n’était jamais trop tôt de prévoir la relève. Aujourd’hui encore, il en était à se demander quelle mouche avait piqué sa protégée. Quand les RG lui avaient offert la responsabilité du renseignement à Clairlieu, les promesses de carrière royale n’avaient pas pesé lourd face à la perspective de regagner ses pénates.
D’un point de vue professionnel, ce n’était pas ce qu’on appelait une promotion. Samia passait des secrets d’Etat aux potins mondains. De la dernière liaison du rocker français à la mode aux coucheries de l’héritier de la Couronne suédoise, les eaux moins agitées qu’elle ralliait se révélaient tout aussi troubles que les manigances de réseaux islamistes ou les trafics internationaux auxquels elle s’était habituée. Les cancans étaient à présent son carcan. Mais elle avait retrouvé Abdel. Elle préférait vivre au jour le jour et ne pas se poser de questions. Elle avait le temps de la jeunesse et de l’inconscience. Elle ne pensait pas au danger, elle avait appris pour son confort personnel à ne pas se tracasser.
Son quotidien huilé vola en éclats quand la Direction Centrale des Renseignements Généraux diligenta une enquête sur l’Arc-en-Ciel. Se doutait-elle dans quel engrenage elle mettait les pieds ? Selon le rapport initial, Pelletier avait rencontré à plusieurs reprises le sieur Pavlovitch, riche citoyen russe soupçonné de proxénétisme. Pas moins ! Perplexe d’abord, Samia s’était inclinée devant les résultats accablants de sa propre enquête : Pelletier s’était déplacé à deux reprises au Beaufort !
Elle n’était pas au bout de ses surprises. Alexandra Kazan, qui n’avait toujours pas digéré d’avoir été l’une des passades maussades d’Alain, s’était fait une joie de lui fournir des clichés irréfragables : Saint-Alain se levait des pin-ups ! Il y avait le secret professionnel. Il y avait Abdel. Le secret professionnel ne pesa pas lourd par rapport au parfum affriolant du scandale. Les gros titres de la presse étaient déjà prêts : « La double vie d’Alain ! ». Lorsqu’il apprit la nouvelle, Abdel commença par contester comme un beau diable. Puis, devant l’accumulation des preuves intangibles, il dut se rendre à l’évidence. Alors ce fut l’effondrement.
Le kebab fini, il se leva. Dans un instant, Jeannot à son tour tomberait des nues. Lui qui considérait Alain comme un modèle moral… Jeannot avait donné rendez-vous au cabinet de maître Ursule. Le plus prestigieux avocat de la ville était un Réunionnais dont le phrasé impeccable le disputait à l’élégance proverbiale. Le plaideur des causes impossibles, des violeurs et des pédophiles, des sociopathes et des tueurs en série était un Noir ! Engagé à la pointe de la cause africaine, l’inlassable pourfendeur des discriminations, le courageux thuriféraire de l’émancipation africaine représentait pour Jeannot une référence certaine, quoique trop policée selon son goût de banlieusard.
Aux dernières nouvelles, Jeannot avait obtenu un contrat d’embauche chez l’avocat. Cette satanée caboche aux idées dures avait décrété depuis si longtemps qu’il vivrait hors du système qu’Abdel avait accueilli la nouvelle avec des pincettes. Jeannot le boute-en-train n’avait pas seulement le cuir épais. Il maniait haut un verbe irréfutable. Son père ne lui donnait-il plus signes de vie ? Il n’en proclamait qu’avec plus de vigueur ses origines africaines, fût-ce par sa mère, une robuste matrone dont la ténacité n’avait d’égale que la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Travailler, c’était entériner l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation des Noirs. Jeannot se vivait sur un mode révolutionnaire, doté d’une vision décalée et rebelle du monde. ‘‘La moitié de l’Histoire n’a pas été dite’’, avait-il coutume de répéter. Pour doter ses prétentions de fondements scientifiques, il s’était forgé une religion et une philosophie qu’il revendiquait de l’Egypte antique. Son monothéisme syncrétique présentait l’avantage de remonter à Akhenaton et de rejeter le christianisme, trop connoté occidental, quoi qu’en pense sa mère.
En attendant (il aurait bien été en peine de déterminer quoi au juste), il vivotait chez elle, arrondissait ses fins de mois laborieuses par la programmation hebdomadaire de soirées afro-antillaises, où il cultivait sa réputation de dragueur invétéré derrière les platines de son univers clos. La polygamie avait pour lui valeur de retour aux racines et il était persuadé de l’essence volage de l’homme. En dehors de ses talents de DJ, ce fondu de reggae faisait plus que se débrouiller au football. Un marginal incapable de s’insérer, un paresseux juste bon pour profiter du RMI et des largesses du système ? En tout cas, il avait tellement intériorisé ses rêves de grandeur africaine que son quotidien banal de jeune noir des Chardonnets était trop étroit pour lui.
Il était prêt à tout pour légitimer ses revendications africaines et leur donner une dimension dépassant la grisaille des barres HLM. Il s’était créé un monde parallèle à celui de l’Occident et recueillait, avec une application frisant l’obsession, toutes les informations s’opposant au « système ». En gros, tout ce qui contribuait à promouvoir une vision de l’Afrique tirant sa positivité de la critique radicale de l’Occident. Son meilleur ami sur Eonville, Toni l’Iranien, l’avait captivé pour d’autres dispositions que son éloignement des conventions sociales. Fumeur de marijuana, disciple de Zoroastre, cet Iranien de haute souche se montrait incapable de faire comme tout le monde. Il faut dire que son parcours de réfugié politique apatride plaidait en faveur d’un puissant décalage.
Lui qui avait dilué en surdoué ignoré sa scolarité erratique dans l’immersion informatique aurait aussi bien pu finir à la DST qu’en prison. Sa découverte de la pensée libertaire comme mode à penser lui avait ouvert des horizons insoupçonnés. Il en était devenu paranoïde, persuadé que la vérité était cachée et passait par la démystification des complots qui endeuillaient la bonne marche de l’humanité. Pour avoir l’image d’un rebelle, l’opposition à l’Occident était bienvenue et souhaitée. Son histoire tourmentée d’opposant à la Révolution iranienne contraignait Toni à une surenchère doctrinale pour ne pas se trouver soupçonné de compromissions avec la superpuissance américaine et avec les cultures européennes que l’on chargeait de toutes les responsabilités esclavagistes et colonialistes.
Il employait le plus clair de son temps à empiler les preuves corrosives des outrages de l’impérialisme occidental. Toni était trop intelligent pour céder aux sirènes de l’islamisme. Pour se doter d’une cohérence universelle, il s’était fait altermondialiste tendance modérée et critique. Du coup, il fourmillait de propositions constructives et d’informations pertinentes. Sans lui, jamais Jeannot ne se serait initié aux adresses subversives de la Toile. Les deux compères s’étaient fait une spécialité de compiler les preuves corrosives de la face cachée de l’Occident. Chez Jeannot, cette quête tournait à la monomanie compulsive : seuls les éléments touchant à l’Afrique acquéraient pour lui de l’intérêt. Il était très fier d’avoir découvert le visage réel de la décolonisation, les manipulations des réseaux affairistes travesties sous la générosité et l’altruisme.
Toni était son mentor et son modèle politique. Un beau matin, il avait appris que le grand Ursule cherchait un enquêteur-informaticien capable de traquer sur la Toile les informations qui lui faisaient défaut dans ses plaidoiries. N’ayant rien à perdre, il s’était présenté. Il avait décroché le CDI, agrémenté d’un bon salaire à la clé. Cette embauche avait changé sa vie. Nanti d’un train de vie de cadre, il était passé de l’autre côté de la barrière et se trouvait du côté de la classe émergente des immigrés promis à la discrimination.
Quand Maître Ursule lui avait signalé le mois précédent qu’il cherchait un déménageur pour mettre la main sur ceux que la police manquait délibérément, il avait tuyauté Jeannot. Ce dernier avait plus que besoin de s’insérer dans la société. Ursule lui offrait cette possibilité unique. L’avocat était un des hérauts de la discrimination positive. Avec lui, Jeannot était assuré d’être jugé sur pièce. Il avait embauché Jeannot à l’essai. Un loufiat de banlieue semait la terreur aux Chardonnets. Plainte avait été déposée par des riverains excédés. Jeannot avait ramené le bougre… Plus qu’un CDD, la moitié d’un CDI pour un Ursule totalement épaté.

Cabinet de maître Ursule, 34, rue des Loups, 19 heures 07.

Maître Ursule occupait le spacieux rez-de-chaussée d’un hôtel particulier du centre-ville, la réalisation la plus accomplie de l’Ecole d’Eonville selon nombre d’avis éclairés, que la Ville mettait en valeur pour tirer parti de l’impact touristique qui commençait à se créer autour de son centre historique. C’était la première fois qu’Abdel s’y rendait. Intimidé par le faste, lui dont l’univers se limitait trop souvent au quotidien des Tamaris, il avança jusqu’à la salle d’attente, un ancien boudoir reconverti en salle d’attente pour revues d’un autre âge. Il n’eut pas le temps de s’asseoir qu’une balle de tennis en piteux état échoua contre ses baskets délavées.
Abdel : – Jeannot, imbécile ! »
La paillasse hilare de Toni dans l’embrasure de la lourde porte de bois massif apporta un démenti immédiat à son imprécation.
Abdel : – Jeannot est pas dans le coin ?
Toni : – Il est en entretien avec maître Ursule. Va falloir attendre un peu, mon gars !
Abdel : – C’était pas de l’enfume, son job ?
Toni : – Du sérieux sérieux, tu veux dire ! Maître Ursule lui a filé sa chance. Il reste plus à sa mère qu’à me bénir ! Un féca ?
Abdel : – Cimer, je suis assez speed comme ça ! »
Jeannot apparut sans crier gare. Il ne s’embarrassa pas de congratulations.
« Hey, Abdel, ramène ta sale face de miskine, on s’arrache au Griot !
Abdel : – Qu’est-ce qu’y t’arrive ? On fébou sans palabres maintenant ?
Jeannot : –Toni, tu suis le mouve ?
Abdel : – Attends, faut qu’on parle en tête à tête…
Jeannot : – C’est quoi, le plan gay que tu me fais ?
Abdel : – Tu crois que c’est le moment de brécham ?
Jeannot : – Et si Toni se pointe au dessert, tu claques aussi un câble ?
Toni : – Les gars, on est plus des gosses, moi, c’est pas un problème…
Abdel : – Non, on aura fini. »
Le Griot se présentait comme un restaurant dont l’unique pièce, exiguë et oblongue, servait en fait de bar pour Africains-à-la-nostalgie-du-pays-chevillée-au-corps.
Abdel : – Ta rem bosse encore dans le resto ?
Jeannot : – Depuis qu’elle est tipar à la retraite, c’est plus la même bouffe, toi-même tu sais ! Mais on aura la paix pour tchatcher tranquille. »
Il partit commander l’apéritif. Il revint du bar nanti d’une Flag De Luxe, la grande bière africaine dont il raffolait. Comme Abdel, religion oblige, ne buvait jamais d’alcool, il avait choisi un Coca.
Abdel : – T’as commandé quoi pour bouffer ? J’ai la dalle grave !
Jeannot : – Un diep !
Abdel : – C’est pas khalouf, au moins ?
Jeannot : – Je rêve ! C’est poisson ! Bon, le cachottier, t’accouches ou je lance la césarienne ? Je te signale, t’as même pas souhaité bon Noël !
Abdel : – Dans la religion, y’a pas de Noël !
Jeannot : – Ma parole, t’es plus facho que Jean-Marie ! LA religion ! Y’en a qu’une, la tienne ?
Abdel : – On revient à nos moutons ? Je suis speed, toi aussi, mais tu le sais pas encore !
Jeannot : – On est pas venus pour fébou et goleri un coup ?
Abdel : – Saoule pas, tu sais très bien que c’est pour l’Arc… Sinon, j’aurais pas empêché Toni de se pointer !
Jeannot : – Vas-y franco, la mayo grimpe pour pas cher !
Abdel : – Do you remember Samia Ben Zeltout ?
Jeannot : – Ta pineco de Montaigne ? C’est quoi, le rapport ?
Abdel : – Elle bosse aux RG…
Jeannot : – C’est ça, l’annonce du siècle ? Toi, je te vois venir, mon salaud : si c’est pour m’annoncer que tu te l’es refaite en loucedé et qu’Aicha t’a cécoin en fatche… »
Abdel rougit comme une pastèque trop mûrie. Jeannot n’aurait pas pu deviner plus juste. Bien entendu, il s’en tira par de farouches dénégations.
« Ma parole, t’es vraiment un grand malade ! Si t’arrêtes pas de gober des cachetons, tu vas…
Jeannot : – Mais c’est qu’il se vénère, le gaillard ! Jure que c’est pas vrai, on discutera après !
Abdel : – On se voit juste à la mosquée pour prier !
Jeannot : – Une mosquée, c’est le pire plan drague, je te signale…
Abdel : – Vas-y, blasphème pas ! Sans elle, je te signale, jamais j’aurais pécho mes infos de gueudin…
Jeannot : – Le KGB a infiltré Clairlieu ? J’attends toujours !
Abdel : – Alain nous la fait à l’envers…
Jeannot : – Sans blague ! Il est patron la nuit et électricien le jour ?
Abdel : – C’est sérieux, man…
Jeannot : – Tu sais pas qu’il faut jamais gober le baratin des gos ? Si Alain délire, je veux bien être curé ! Et même imam, c’est pour dire !
Abdel : – Fais gaffe à ce que tu dis ! Sami bosse aux RG ! C’est pas l’Ecole du Cirque ! Elle a pondu un rapport, je l’ai pas lu, mais… Man, je suis dégoûté que ça parte en couille !
Jeannot : – Je comprends pas… Tu… Tu vas charger Alain, c’est ça ? Après ce qu’il a fait pour nous ?
Abdel : – T’enflamme pas seul tout ! Tant que t’y es, Sami a monté une enquête bidon…
Jeannot : – Qu’est-ce j’en sais, moi ? Sois juste carré, parce que je te décode mal ! »
Abdel n’eut pas le temps de sortir les munitions. La serveuse apporta les thiéboudiennes comme un dérivatif provisoire à un problème qui ne pourrait éternellement être différé. Abdel changea d’expression en la dévisageant. Son corps de mannequin jurait avec sa tête de transsexuel.
Jeannot : – Arrête de téma comme un crevard, sinon elle va se la ouèje starlette du coin !
Abdel : – J’ai pas de temps à perdre avec tes délires ! Elle m’a interrompu, l’autre grognasse ! Sami a été chargée par ses boss d’enquêter sur les fréquentations cheloues de Pelletier. Un Russe pas clair…
Jeannot : – Alors, c’est pas Alain, tu vois ?
Abdel : – Au début, c’est ce que Sami croyait aussi ! Et puis, tu me crois ou pas, elle est remontée à Alain ! Et elle a bien dû s’incliner devant l’évidence…
Jeannot : – « Elle a bien dû s’incliner devant l’évidence »… Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu parles comme la reine d’Angleterre ou tu nous ponds un scénar pour Al Pacino ?
Abdel : – C’est quand que tu m’écoutes ? Les RG sont pas des charlots ! Sami a pondu une enquête ! Alain a reçu le Russe dans son bureau !
Jeannot : – Qu’est-ce tu chantes ? C’est moi qui bois et c’est toi qu’es ivre, ma parole ! Si je t’écoute, Clairlieu, c’est Hoover&Co ! Pendant que t’y es, sors les clichés, je cours mater L.A. Confidential !
Abdel : – Samia m’a montré les photos !
Jeannot : – Attends, que je me branche… Des photos de cul bien auch ?
Abdel : – Tu crois pas si bien dire, raclo ! Alain s’est tapé une lopessa de la jet. Le gars se la donne grande vertu et…
Jeannot : – Gars, qu’est-ce tu fais, y’a maldonne ? Et Betty ? Jamais Alain…
Abdel : – Si je te dis que le témoin s’appelle Alexandra Kazan et qu’elle se venge parce qu’il l’a larguée en fatche, tu me traites toujours de mytho ?
Jeannot : – La bombasse de la télé avec les nibards siliconés ?
Abdel : – Si Alain part en couille, l’Arc est out… Et Alain part en couille !
Jeannot : – Pas possible ! T’imagines comme il se prend le chou pour la Fondation ? Elle ouvre le mois prochain ! On va commencer les missions ! Ca serait du n’importe quoi, son histoire !
Abdel : – Je vois que tu commences à capter ! Moi aussi, j’ai été sonné au début ! Mais faut se rendre à l’évidence ! Et je t’ai pas tout dit ! Tiens-toi bien, sinon c’est le KO direct : les RG le convoquent le mois prochain à Paname… Alain est grillé, il pourra pas se défiler ! Samia me l’a cer-ti-fié ! Qu’est-ce qu’il va répondre aux questions des enquêteurs ? L’enfume, ça a qu’un temps ! Là, ça va mieux, tu piges ? »
Jeannot comprit tellement bien qu’il s’affaissa sur sa chaise.
Jeannot : – Comme on dit chez nous, un keum vire pas caïman sans piment ! Pour partir en vrille à ce point, il nous cache une galère grave ! Faut l’aider, on est ses potos, oui ou non ?
Abdel : – Tu veux quoi ? Il garde tout pour lui ! Walou pour ses potos ! On va pas le faire cracher sous la torture non plus ! C’est sa vie, hein ? Moi, je croyais que c’était un ami et je sais plus à qui j’ai affaire, alors…
Jeannot : – C’est pas possible, il doit y avoir un truc… A nous de le sortir de la nasse !
Abdel : – On pourrait pas mettre Ursule sur le coup ?
Jeannot : – Laisse, il va nous prendre pour des teubés nés ! C’est pas le bon numéro !
Abdel : – Et Toni, avec la répute de hacker que tu lui bichonnes, y’a pas moyen qu’il s’occupe…
Toni : – Les gars, on vous entend jusque sur le trottoir, faudrait calmer votre joie… »
Ils sursautèrent. En reconnaissant Toni, ils ne prirent même pas la peine de plaisanter. Ce dernier se montra même inquiet de la consternation qui les éreintait comme de vieilles blessures mal cicatrisées.
Toni : – Qu’est-ce qui vous arrive ? Ma parole, à voir vos chetrons, on jurerait que z’avez dikave le yeti !
Jeannot : – Commande-toi un demi et rapplique ! Faut qu’on cause ! »
Toni ne se fit pas prier. Il revint avec une bonne Flag. Il avait eu le coup de foudre quand Jeannot la lui avait fait découvrir.
Toni : – Quelqu’un me dit ce qui se passe ? »
Mis au parfum par Jeannot, Toni tira à son tour une tronche de quinze mètres de long.
Toni : – Des histoires de gueudin comme ça, c’est des coups à suspecter sa meuf de taffer pour la CIA !
Jeannot : – Et si les RG se plantaient ?
Toni : – Ca serait trop gros, trop beau… Les RG… Ursule bosse avec eux ! Je peux vous dire, c’est du lourd ! C’est pas de ce côté que vous trouveriez une enfume !
Abdel : – On est dans un plan Voici, quoi ? Alain se tape les tepus et mène une double vie et nous la fait patron vertueux et engagé ! Moi, je suis calmé !
Jeannot : – On peut toujours se tourner les cepoux sept cents ans et attendre la suite comme des planqués. Y’a pas moyen, faut se magner le cul, maintenant !
Toni : – Déjà, votre Pavlovski, je le fume à ma sauce Google, parole de Toni !
Abdel : – Pavlovitch !
Jeannot : – Ca me fait ièche de suspecter Alain sans lui en toucher un mot…
Toni : – Les gars, causez-lui, à votre poto ! On a l’impression que vous flippez juste pour l’Arc. Faites pas les ienches !
Abdel : – L’Arc, c’est walou pour moi ! Sur le Coran, y’a qu’Alain qui me soucie ! »
Au fond de lui, il n’était pas loin de penser le contraire, sans pouvoir en convenir. Son amitié avec Alain, il l’avait vécue comme une formidable opportunité pour trouver un autre horizon que celui de son quotidien terne.
Jeannot : – Si ça se trouve, c’est juste une meuf ! Le reste, c’est cette baltringue de Pelletier qu’a tout manigancé…
Abdel : – Les gars, pour en avoir le cœur net, faut le capter au plus vite ! Vous voyez une autre possibilité ?
Jeannot : – Et tu fais comment pour balancer la purée ? Tu te pointes la gueule enfarinée et tu lui demandes quelle somme il place dans les call-girls à la fin du mois ?
Toni : – Y’a bien un moment où faudra lui cracher la purée… Autant pas traîner…
Abdel : – J’ai juré sur ma tetè de rester muet comme une tombe…
Jeannot : – On fera pas les fatches avec Alain, c’est moi qui vous le dis ! »

Le Circus, Principauté de M***, 19 heures 15.

Quand Alain revint des toilettes, il était prêt à jouer la comédie que Pardo attendait. L’eau sur le visage lui avait prodigué un avatar bienvenu de fraîcheur. Entre Pavlovitch et Pardo, les deux alternatives à sa dette, s’ébauchait un trouble jeu dont il sortirait gagnant. En voyant l’ébauche de sourire et les yeux brillants qui avaient remplacé la mine blafarde, Pardo retrouva sa contenance.
Pardo : – Alors, remis de tes émotions ? T’aurais vu ta tête, on aurait juré que je t’annonçais la catastrophe du siècle ! C’est incroyable, ce décalage ! J’étais certain que t’allais sauter au plafond ! Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as des soucis ? Un déca pour te remettre ?
Alain : – Merci… Si tu te mettais à ma place cinq minutes ! Imagine le choc ! Je ne pouvais pas m’attendre à cette cata… Je veux dire ce nirvana ! C’est l’émotion ! Je suis tout groggy !
Pardo : – Me dis pas que t’hésites ? Ou alors c’est moi qui ne comprends plus rien à la vie ! Tu veux que je t’explique combien je me suis décarcassé pour toi ? Je t’apporte sur un plateau l’affaire du siècle, le coup fatal, celui qui te change la vie ! Pour toi, finies la dette et la pression ! Réfléchis, peuchère !
Alain : – Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Bien sûr que je nage au septième ciel ! Je t’ai dit, c’était l’émotion ! La pression qui retombe ! J’ai mal géré le coup, c’est des choses qui arrivent ! Je suis un grand émotif, un hypersensible à fleur de peau ! Parle-moi plutôt de mon sauveur, je ne sais même pas à quoi il ressemble…
Pardo : – Ah, tu me rassures ! Je commençais à ne plus rien saisir ! Enfin un brin de cohérence ! Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je me suis conduit comme un père pour toi ! Feliciggiani&Frères Ltd., ça te dit quelque chose ?
Alain : – Vaguement… »
Il n’avait jamais entendu prononcer ces initiales.
Pardo : – Lucien est à la tête d’un portefeuille dont l’unité de base se chiffre en milliards de dollars…
Alain : – Tu comprendras que je rencontre ce monsieur pour juger sur pièce…
Pardo : – Non seulement je te comprends, mais ta prudence tombe à pic : il proposait de faire ta connaissance courant janvier… »
Alain demeura sans voix. Les choses s’enchaînaient à une telle vitesse qu’il flairait l’anguille sous roche. Pourquoi ce Feliciggiani mettait-il une telle célérité à le rencontrer alors qu’il n’avait manifesté aucun intérêt jusqu’à présent ? Repoussant ses atermoiements légitimes, Alain voulut poser des questions pour apaiser son anxiété. C’était le meilleur moyen de conjurer la peur de l’inconnu. Pardo ne lui en laissa pas le temps. Après avoir consulté sa montre, il enchaîna, catégorique.
« Une dernière peccadille avant de filer, parce que l’avion me passe sous le nez si je ne prête pas garde à l’heure qui défile ! »
Alain se raidit, redoutant que la spirale des bonnes nouvelles accouche d’une nouvelle déconvenue.
Pardo : – C’est au sujet des quatre millions…
Alain : – Une peccadille ? Tu en as de bonnes !
Pardo : – Façon de parler ! J’ai exposé dans ses grandes lignes à Feliciggiani ton projet associatif.
Alain : – Je ne sais pas si tu aurais dû ! Depuis quand des types comme lui perçoivent-ils la philanthropie comme une activité viable ?
Pardo : – Tu veux rire ? Ton projet l’a tellement enthousiasmé qu’il ne parle plus depuis que de sponsoriser la Fondation. Il envisage même de reconvertir ta dette en investissement à hauteur de trois millions, c’est te dire…
Alain : – A ce point ?
Pardo : – Et ce n’est pas tout ! En cas de coopération appropriée, le million restant pourrait être effacé. Je te le dis entre nous, hein, mais si tu assures la baraque, l’issue ne fait pas l’ombre d’un pli ! Tu penses, pour un type de cette dimension, un million de plus ou de moins, c’est de l’enfantillage… »
Pardo s’arrêta, soulagé d’avoir récité sa leçon sans encombres. Il s’était contenté de répercuter les consignes transmises par Klaam. Il avait accompli la mission qui lui était impartie. Il pouvait plier boutique. Alain imagina l’euphorie qui gagnerait Abdel et Jeannot en apprenant la manne. Elle s’offrait comme une providence ! Alain changea de contenance. C’était certain, ses amis n’en croiraient pas leurs oreilles ! Du coup, il troqua son abattement pour la joie.
Pardo : – Enfin un sourire ! Je commençais à ne plus rien piger ! Ma parole, toi et l’Arc ne font qu’un !
Alain : – C’est ma vie, je te signale ! »
Alain s’était exprimé avec la candeur du gosse esquissant ses rêves. Pardo n’eut pas le temps de peaufiner sa partition duplice qu’un haut-le-cœur agita son quintal allègre.
« Peuchère, mon transfert ! »
En bon Méridional, il trouva cependant le temps pour prodiguer la rituelle bise d’adieu.
« Surtout, pas de folies avec Pepita, hein ! Tes fredaines de chaud Latin me sont revenues aux oreilles ! Un de ces quatre, on prendra le temps d’aborder le chapitre de ta conduite, histoire de t’en acheter une bonne ! »
Pardo évanoui, Alain commanda deux pure malts, qu’il avala goulûment pour se calmer. Les nouvelles censées lui changer la vie n’avaient dégagé que partiellement son horizon personnel. Pavlovitch à présent inutile, il se retrouvait plus désemparé que jamais, coincé entre deux investisseurs antagonistes, dont l’un était inopportun. Faire marche arrière ? Il était trop tard. Jamais il ne pourrait expliquer à Pavlovitch qu’il ne souhaitait plus son concours dans la surenchère des terrains de haute montagne. Même le bon Pelletier n’aurait pas compris ! Le mensonge et la menace continuaient de le poursuivre de leur acharnement.
En même temps, toutes les nouvelles n’étaient pas funestes. Le mécénat de Feliciggiani signait la revanche des Tamaris sur les nantis. Alain n’était pas peu fier de payer son écot à la banlieue en installant le siège de l’Arc en plein cœur de la cité. Cette contribution se situait dans la droite lignée de ses idéaux de grandeur et de générosité. La tête enfiévrée d’idéaux, ne sachant plus à quel saint se vouer, il fila à l’aéroport. Le grésillement de son portable le coupa dans son élan et le ramena sur terre : Pepita le relançait ! Il abrégea.
Alain : – J’ai une affaire sur le feu, je ne puis traîner davantage, je suis déjà à l’aéroport… Inutile de t’inviter au Chamois ! Un séjour en haute montagne doperait ton organisme de rêve ! »
Sitôt raccroché, déjà oubliée !

Aéroport de M***, 19 heures 58.

Au moment où il inondait la file déserte des premières classes de sa morgue nobiliaire de nanti, son portable le porta au comble de l’exaspération. Il avait beau passer son temps au bout du fil, il pestait avec conviction contre les incivilités engendrées par les portables. Il crut que Pepita perdait les pédales et se prenait déjà pour sa maîtresse officielle. Passablement maussade, il déchanta un cran davantage en identifiant l’appel. C’était Betty… Comment n’avait-il pas reconnu la mélodie personnalisée de la sonnerie ? La voix de sa femme l’insupportait déjà !
Betty : – Deux jours sans nouvelles, tu aurais pu te signaler…
Alain : – Comment vont les enfants ?
Betty : – Ta mère envisage de nous réunir avec Luc et Helena après-demain pour la nouvelle année…
Alain : – Dîner avec la mijaurée chez ma mère ? Tu n’y penses pas !
Betty : – C’était une idée à ta mère, je n’allais pas refuser !
Alain : – Tu as appelé Luc pour confirmer le dîner ?
Betty : – La soirée du Réveillon ?
Alain : – Ne te rends pas plus bête que tu n’es, veux-tu ? J’ai déjà fort à faire !
Betty : – Les affaires ne te réussissent pas, c’est moi qui te le dis… Tu cries, on ne comprend rien ! Je ne suis pas responsable de ton stress ! »
Frisant déjà avec les combles de l’exaspération, il détacha chaque syllabe comme s’il s’adressait à une demeurée.
« Peux-tu, oui ou non, con-fir-mer que nous dî-ne-rons ce soir com-me pré-vu au Grand-Hôtel ? Le temps me manque pour m’en occuper moi-même ! »
Une invitation ? Confuse de sa méprise, Betty changea de ton.
« Au Grand-Hôtel ? Je ne savais pas que tu me réservais une telle surprise…
Alain : – Je rêve ! Il s’agit de Luc, pas de toi ! Depuis le temps, tu devrais savoir que nous nous retrouvons chaque semaine ! Il se trouve que ce soir, c’est son tour de me recevoir… Au Grand-Hôtel, justement ! »
Betty ravala sa déception. Elle aurait tant aimé retrouver le parfum suranné des sorties imprévues et du bon vieux temps, l’époque où son histoire avec Alain n’était qu’une douce mélopée sans nuage. Craignant une sortie agressive, elle se reprit bien vite.
Betty : – Quelle heure dois-je annoncer ?
Alain : – Neuf heures, le temps que je me pose !
Betty : – Moi qui espérais passer la soirée…
Alain : – Je t’avertis que ce n’est pas le moment de me casser les pieds avec tes caprices ! Tu n’oublieras pas de passer la commission, au moins ? »
Exaspérée, elle explosa.
« Vu ton comportement, j’estime que ma présence à ta soirée BA bobo n’est pas indispensable… Tu t’y débrouilleras bien mieux sans moi !
Alain : – Ah, ça, je ne te le fais pas dire… J’ajouterai que ce ne sera pas une grosse perte ! »
Il coupa, repu de sa grossièreté replète. La nullité qu’il prêtait à sa femme justifiait d’avance les plus inqualifiables de ses foucades. Dans le fond, cette désaffection l’arrangeait. Betty manquait d’affectation pour le monde. Sa candeur jurait avec l’esprit du Chamois, où seules importaient les paillettes.
« Nous vous souhaitons un agréable voyage, monsieur ! »
Il passa devant la caissière sans prêter attention à sa voix fadasse et mielleuse. Alors qu’il s’attachait à correspondre au plus près à l’incarnation de la classe et du savoir-vivre, un grésillement, celui de trop, manqua de lui faire perdre sa contenance d’homme du monde surfant sur la vague de l’enchantement optimal. Encore Betty ? Décidément ! Il s’empourpra sous le coup de la colère et réprima la rage qui l’agitait. Il brûlait de briser son portable contre le sol et de le piétiner. C’était insupportable, inadmissible, injustifiable ! Cette bécasse s’était-elle donné le mot pour lui faire rater son vol ? Hors de lui, il ne se rendit même pas compte qu’il vociférait dans le haut-parleur.
Alain : – Quelle puérilité ! Tu cumules ! Tu me tapes sur le système ! Tu as juré ma perte ! Tu… »
Hors de lui, il s’interrompit, incapable d’ajouter le moindre mot. L’indignation qui le secouait menaçait de dégénérer en insultes. Le blanc qui suivit sa sortie furibarde et incontrôlée le déstabilisa. Aurait-il commis un terrible impair en se trompant sur l’identité de son interlocuteur ?
Abdel : – Qu’est-ce qui t’arrive ? Je suis pas ta bonniche !
Alain : – C’est Jeannot ? »
Malgré l’erreur cocasse, il finit par reconnaître la voix d’Abdel. Il s’empara du lapsus pour s’en tirer à bon compte. Dans le fond, il n’était pas fier d’avoir exhibé une facette peu reluisante de sa personnalité. Il tenait tellement à l’exemplarité devant ses amis !
Alain : – Abdel ? Tu tombes au poil, j’allais t’appeler !
Abdel : – Ca baigne ?
Alain : – Pas vraiment…
Abdel : – Un souçay ?
Alain : – Tu m’as confondu avec Jeannot…
Abdel : – Toujours en train de bronzer, farceur ?
Alain : – Plus pour longtemps : je suis à l’aéroport ! Et toi, Eonville, bien ?
Abdel : – T’es ouf ? La Lorraine sans soleil, ça va cinq minutes ! J’ai retrouvé mes pénates, la montagne et la lumière !
Alain : – Jeannot, ouèche ?
Abdel : – Il va pas traiter ! Il s’est fait pistonner pour taffer chez maître Ursule !
Alain : – L’avocat ? Ma parole, il a cartonné, le gadjo !
Abdel : – Grâce à Toni, tu sais, son pote iranien ? Bon, tu rentres quand ? Faut qu’on se voie !
Alain : – On dit demain ?
Abdel : – T’y es pas, ça urge salement ! T’as bien cinq minutes ? On s’enchaîne chez Mahdi un tandoori en 5/5 ?
Alain : – Ca va être chaud ! Je t’explique le programme : à neuf plombes, je bouffe avec Luc au Grand-Hôtel ; à onze, j’enchaîne au Chamois la soirée caritative et dans la nuit, je retrouve au Baquoual un client pour traiter d’un dossier urgent…
Abdel : – Qu’est-ce tu vas foutre au Baquoual ?
Alain : – Un flambeur du Chamois monte un truc de dingue…
Abdel : – Il s’appelle comment, le keumé ?
Alain : – Laisse béton, Pavlovitch, ça te dira rien ! »
Cette réponse recoupait de manière implacable les accusations portées par Samia. Alain s’était coupé sans s’en douter !
Abdel : – Sans déconner, on se rencarde pour onze piges ?
Alain : – Taf taf alors, parce que Malebrac produit la soirée pour Chic TV. T’imagines si je la kèn ?
Abdel : – La journaliste ?
Alain : – C’est ça ! Trêve de plaisanterie… »
Les preuves étaient si accablantes qu’Abdel raccrocha, le cœur lourd.
Alain : – Bislahma ! »
Il sourit chichement. Au milieu des épreuves, l’importance vitale de ses amis historiques se dégageait avec un relief tragique. A eux aussi, il avait menti ! De rage, il sortit son billet et le tendit à la caissière. Il eut envie de boire. Il eut envie de sniffer. Il eut envie d’abandonner. Il eut envie de s’abandonner.

Le Grand-Hôtel, Clairlieu, 21 heures 00.

Une demi-heure que Luc prenait sur ses nerfs. La conversation d’Alain n’était pas une sinécure ! Alain profita de cette coïncidence pour débiter un de ces poncifs dont il possédait mieux que personne le secret.
Alain : – La fondue asiatique est un pur délice ! »
Resservie pour la troisième fois, sa remarque exhalait les relents d’un mauvais réchauffé. Heureusement, l’apéritif touchait à sa fin.
Luc : – Ca tombe bien, j’ai en rayon ta recette fétiche… »
Alain : – En ce moment, la choucroute marine emporte mes suffrages… »
Luc ne pouvait deviner que les goûts de son frère s’étaient ajustés à Malebrac depuis que le plus sûr baromètre de la mode VIP en avait fait son plat préféré. Derrière sa façade détendue, Luc le connaissait trop pour ne pas ressentir le malaise sourd que son visage dégageait.
Luc : – Toi, tu couves quelque chose ! C’est la victoire de Scwaeinstig qui t’a épuisé ?
Alain : – Tu ne devineras jamais l’expérience unique que je viens de vivre ! J’ai rencontré per-son-nel-le-ment Scwaeinstig ! Tu te rends compte ? Et tu ne devineras jamais le pire ? Il est venu au Chamois ! En personne ! Au moment où j’assistais à la réception annuelle de la duchesse de Valmont !
Luc : – Mazette, j’ai le privilège ineffable de contempler Sa Majesté Alain Ier dans toute l’étendue de sa Splendeur Mondaine !
Alain : – Au vu des résultats du week-end, tu ferais mieux ! Une nouvelle fois, le Chamois écrase la Grange… »
C’était le nom de la discothèque ouverte par Luc pour concurrencer le Chamois.
Luc : – Il fallait bien te laisser la première place dans un domaine ! »
Alain ignora la perfidie.
Luc : – Assez perdu de temps ! Venons-en à nos affaires !
Alain : – Les affaires, les affaires, toujours les affaires ! Avec toi, il n’y a que ça qui compte, ma parole…
Luc : – Dois-je te rappeler qu’il était prévu que nous abordions ce chapitre ?
Alain : – Lenoir n’a pas daigné me contacter ! Question délicatesse, on a déjà fait mieux, tu conviendras…
Luc : – Il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat : c’est moi qui ai insisté pour t’en informer le premier. Ne va pas faire d’histoire là où il n’y a rien de répréhensible !
Alain : – De toute manière, je suis débordé ! La Fondation absorbe toute mon énergie…
Luc : – Je m’en doutais ! Tout ce qui ne tourne pas autour de l’Arc te répugne comme s’il s’agissait d’activités criminelles ! Laisse-moi seulement te brosser les enjeux de la question, nous passerons ensuite aux frivolités. Au moins, entre nous, les malentendus éventuels seront dissipés ! Notre relation est plombée par trop d’incompréhension depuis la reprise de l’héritage de notre défunt père ! Selon le… »
Au lieu de prêter attention à la synthèse que Luc brossa avec un art consommé de la problématisation, Alain dégusta une bouchée de viande nappée de fondue en pensant à Pepita. A présent qu’il ne l’avait plus sous la main, il aurait fait n’importe quoi pour coucher avec elle.
Luc : – … pour une mise de quatre millions d’euros. »
Alain releva la tête mollement. Il n’avait rien écouté ! De toute manière, il était tranquille sur ce sujet, Pelletier l’avait mis au courant. Pour contrefaire l’intéressé, il fit l’intéressant.
Alain : – Les bénéfices seront importants ?
Luc : – Après construction, le rapport passera du simple au triple.
Alain : – Moi, ce n’est pas mon problème…
Luc : – Je m’en doutais. Je t’en touchais juste un mot par transparence, si d’aventure un terrain retenait ton intérêt, je ne sais pas moi, pour l’Arc-en-Ciel, par exemple… »
Alain étouffa un bâillement intempestif.
Luc : – L’appel d’offres se clôture le 30 au soir.
Alain : – Dois-je te rappeler que mon attention est entièrement absorbée par la cérémonie caritative de ce soir ?
Luc : – Rassure-toi, j’ai rappelé à Lenoir que tu ne courais qu’après le futile… »
Pour encaisser la pique, Alain fondit sur le restant de fondue. Manger lui permettait d’oublier. Il avait besoin de digérer. A force de mentir, il avait oublié où sa tête en était. Luc voulut clarifier une bonne fois pour toutes la situation en obtenant d’Alain la confirmation définitive que l’immobilier constituait sa chasse-gardée.
« Ton silence vaut-il acquiescement ?
Alain : – En guise de dessert, j’opterai pour les profiteroles.
Luc : – C’est tout toi, cette remarque ! Je t’entretiens d’événements de la plus haute importance, et tu me parles chocolat ! »
Alain haussa le ton avec exaltation. Se mesurer à Luc était l’étalon à l’aune duquel il évacuait la pression.
« J’ai mieux à faire dans l’existence que de parler immobilier ! Au cas où tu l’aurais oublié, Chic TV couvre la soirée caritative...
Luc : – Tranquillise-toi, Pelletier s’est occupé de cornaquer l’événement du siècle !
Alain : – C’est tout toi, cette remarque ! Toujours à me lancer à la tronche tes vacheries avec l’air de ne pas y toucher ! »
Luc ne s’attendait pas à ce qu’Alain s’enflamme avec une telle célérité mâtinée d’ironie. Pour calmer le jeu, il se radoucit en singeant son ton pince-sans-rire.
« Helena s’est engagée à assister à la soirée. Peux-tu m’en rappeler le déroulement ?
Alain : – Tu n’es pas au courant ? Juliette de Malebrac ouvre ses Mondanités par le Chamois. Un concept révolutionnaire, qui connaîtra son couronnement pour le Réveillon ! Mais je garde pour moi la surprise… Nous ne sommes que deux à être dans la confidence : Jean-C (entendre Pelletier) et moi ! »
Luc leva les yeux au ciel. Il avait acheté la paix des braves au prix du plus pesant des compromis ! Les explications interminables étaient lancées…

Le Beaufort, Clairlieu, 21 heures 34.

L’événement de la saison ? Un panel d’arrivistes branchés et de mannequins arbitrait les élégances du Tout-Clairlieu ! Les commerçants ne parlaient que des frasques de ces Russes un peu rustres, avec lesquels, puisqu’ils avaient eu le bon goût de remplacer avec avantage les princes arabes, on pouvait se montrer d’une mansuétude sans fond. Dans le chalet qu’il avait retenu pour la saison, une imposante construction aussi laide que spacieuse, Pavlovitch s’était réservé l’aile pour ses aises et sa tranquillité. Sa cour n’avait qu’à festoyer à son aise dans le bâtiment principal. Lui était venu pour travailler ! Le business, comme il le répétait à satiété dans son sabir médiocrement polyglotte. Sa dernière rencontre avec Pelletier l’avait gonflé à bloc. Le bras droit d’Alain lui avait annoncé le lancement de la transaction.
« Adriana ? »
Une reine de beauté affectée passa la tête à travers l’encablure.
Pavlovitch : – Le temps est venu de passer à l’action…
Adriana : – Le fruit est mûr ? »
Contrairement aux délices que laissaient entendre sa plastique vénale, elle ne s’était pas donnée à Pavlovitch. Ce dernier se serait bien gardé d’effleurer un seul de ses cheveux. Après la prestigieuse Ecole pétersbourgeoise de traduction, Adriana Svetlana avait choisi une voie lucrative. La prostitution rapportait plus gros que l’interprétariat – à condition d’en élire le luxe. A condition de cibler le bon créneau. Jamais elle n’aurait succombé à l’avanie des palaces. Elle n’était pas dupe. Cette pente menait à la pouf-pour-milliardaires. Les libidineux friqués, les dentistes obsédés, les avocats en quête de transgressions distribuaient l’argent, ils ne prodiguaient pas le pouvoir. Le créneau porteur, celui qui garantissait de la réussite, résidait dans l’alliance du sexe et de la manipulation. Piéger les adversaires les plus retors ; soutirer les informations ultraconfidentielles sur l’oreiller ; délivrer au besoin les prestations corsées.
Plus efficace qu’un espion, plus diabolique qu’un poison, elle représentait l’arme absolue pour ceux qui voulaient obtenir par la séduction ce que la force interdisait. Karpak n’avait pas traîné à la remarquer. Impressionné par sa réputation de tigresse amorale du monde des affaires, il l’avait enrôlée à son service exclusif. Il ne s’était pas trompé. S’acquittant des missions spéciales qu’il lui confiait avec rigueur et brio, elle représentait le meilleur espion du pays quand lui en incarnait la meilleure assurance-vie.
Si Pavlovitch avait eu le privilège de travailler pour cette Intouchable, il le devait à ses prérogatives. En tant que haut responsable de la division prostitution chez Karpak&Cie, il régissait l’importation des femmes des Républiques asiatiques de l’ancienne URSS, leur formation à Saint-Pétersbourg et leur expédition sous pli recommandé sur les trottoirs de la riche Europe. L’an passé, ses résultats brillants, les meilleurs de la division, lui avaient autorisé certains privilèges. Parmi ceux-ci, Karpak l’avait récompensé de ses bons et loyaux services en lui octroyant, pour blanchir ses dividendes en Occident, les services gracieux d’Adriana.
Celle-ci n’avait pas tardé à jeter son dévolu sur une fin digne d’intérêt. Ce serait Alain Méribel, l’impayable patron du Chamois, qu’elle n’aurait pu manquer lors de son séjour le mois dernier à Clairlieu. Lors de leur descente au Chamois, nonobstant Karpak, Alain l’avait dardée de ses flèches lubriques avec la naïveté d’un adolescent attardé. Un top model en compagnie d’un oligarque, c’était, selon les critères du patron branché qu’il se figurait incarner, le comble de la sensualité.
Pavlovitch : – Pelletier m’a confirmé la nouvelle : Alain sera l’invité d’honneur de notre grande soirée au Baquoual…
Adriana : – Son arrivisme sert nos intérêts à merveille !
Pavlovitch : – Votre rôle est tout désigné : vous vous présenterez à lui comme la courroie de transmission indispensable contre les risques d’indiscrétion. Cette proposition a reçu l’accord enthousiaste de notre fine mouche…
Adriana : – Pelletier ?
Pavlovitch : – Ainsi, vous aurez tout loisir de travailler avec Alain…
Adriana : – Je ne doute pas un seul instant de son empressement à m’ouvrir les portes de son intimité !
Pavlovitch : – Surtout, qu’il ne vous prenne pas pour une gourde made in Chamois ! Fidéliser l’olibrius représente le moyen le plus fiable de le coincer !
Adriana : – Je vous remercie de vos conseils, mais les sangsues me sont familières. D’ordinaire, j’éprouve les pires difficultés à me débarrasser des anciens clients ! Une fois mordus, ils ne peuvent plus se passer de ma compagnie…
Pavlovitch : – Dans ce cas précis, c’est ce que nous pourrions rêver de meilleur !
Adriana : – Comment comptez-vous le coincer ?
Pavlovitch : – La poudre…
Adriana : – Je crains de mal vous comprendre…
Pavlovitch : – C’est pourtant limpide ! Alain se ravitaille en coke auprès du dealer attitré de Clairlieu – un certain Romuald…
Adriana : – Je rêve ! Vous n’envisagez quand même pas de me faire sniffer votre dope ?
Pavlovitch : – Un rail n’a jamais tué personne ! Une fois les preuves de sa cocaïnomanie en votre possession, le tour sera joué…
Adriana : – Trop risqué !
Pavlovitch : – Quelle dommage ! La prime se serait révélée consistante…
Adriana : – Je ne discuterai pas bénéfices en dessous de dix pour cent… A prendre ou à laisser !
Pavlovitch : – Dites donc, vous ne vous mouchez pas avec le dos de la cuillère !
Adriana : – Normal : il n’entre pas dans mon habitude de prendre de tels risques !
Pavlovitch : – Laissez-moi vous expliquer !
Adriana : – Que faites-vous de mes exigences contractuelles ?
Pavlovitch : – 8% – n’en parlons plus !
Adriana : – Marché conclu, je suis à vous – du moins le temps de cette mission !
Pavlovitch : – Après la visite de courtoisie que nous lui avons rendue, le dealer d’Alain a tout avoué !
Adriana : – Comment êtes-vous tombé sur lui ?
Pavlovitch : – Depuis qu’il a fait son trou entre les duchesses et les starlettes, Romuald se prend pour un initié du Gotha. En état d’ivresse, il se montre peu avare en confidences, surtout quand un arrivage de nymphettes en provenance de Saint-Pétersbourg le borde…
Adriana : – Je vois ! Votre colonie d’allumeuses a encore fait des ravages…
Pavlovitch : – C’est vrai, j’aurais dû récompenser la bimbo à l’origine du scoop : désormais, grâce à son art de la séduction, Alain se trouve à notre botte !
Adriana : – Je commence ma mission quand ?
Pavlovitch : – Ce soir, contentez-vous de flirter ! Surtout, aucune coucherie !
Adriana : – Il était convenu que je ne passerais à l’action qu’à la soirée du Réveillon, et encore, seulement pour les clichés !
Pavlovitch : – Je ne suis pas en train de vous dire que je suis revenu sur ma parole ! J’ai fait venir de Saint-Pétersbourg une caméra intégrée dans une montre de joaillier. Il vous suffira de régler l’heure pour, sur une simple pression du bouton, déclencher son ouverture.
Adriana : – Attendez… Vous escomptez que je filme le Nouvel An ?
Pavlovitch : – Je vous rassure, seulement le sexe et la dope ! Avec ces pièces, nous ferons de lui ce que nous voulons… »
Il eut un mauvais sourire qui défigura l’harmonie placide de ses traits.
Adriana : – Ma mission sera alors terminée… Je vous avoue que ce type d’imbécile n’est pas très excitant et que j’ai hâte de passer à un contrat plus gratifiant.
Pavlovitch : – C’est pourtant vous qui l’avez ciblé !
Adriana : – Je ne pouvais pas vous faire de plus beau cadeau ! Un héritier aussi loyal dans son vice, ça ne court pas les rues… »

Domicile de Luc et Helena, Clairlieu, 22 heures 30.

Chez les Méribel, l’ostentation avait valeur de péché. Habiter un chalet cossu n’était moral qu’à condition de se présenter dépourvu d’affectation.
Luc : – Cette fois, pour l’appel d’offres, c’est confirmé : Alain n’est pas concerné !
Helena : – Du moins est-ce ce qu’il déclare ! En ce qui me concerne, chat échaudé craint l’eau froide, comme vous dites en France…
Luc : – Les mondanités concentrent l’intégralité de son attention. Ce soir, il n’en a eu que pour Malebrac !
Helena : – D’après ce que j’ai entendu, cette raseuse est passée à la télé…
Luc : – Tu n’étais pas au courant ?
Helena : – Le confondrais-tu avec les nymphettes de la presse people ?
Luc : – Que vas-tu chercher ? Je te signalais seulement que Malebrac sévissait sur le câble depuis l’ouverture de Chic TV…
Helena : – Tu me tranquillises ! Je redoutais une des conquêtes dont ton frère a le secret.
Luc : – Tu parles de ma famille, je te rappelle !
Helena : – Oh, ça va, tu ne vas pas te mettre à la langue de bois ! A part les petits fours et leurs accessoires, peux-tu recenser quels intérêts préoccupent ton frère ? »
Luc soupira.
« Que crois-tu ? Rien ne m’insupporte autant que ces attrape-nigauds dont il s’entiche ! Ces soirées infectées de bons sentiments représentent une perte de temps pure et simple…
Helena : – Ne sois pas si raide ! Les assemblées ont du bon en termes de rencontres et d’échanges… »

Sha’dwich, Clairlieu, 22 heures 30.

Le vieux Mahdi tapota de la paume de sa main sur le comptoir.
« Je ferme dans une heure ! »
Il était las.
Abdel : – Une seconde, Alain se pointe !
Mahdi : – Je n’en mettrai pas ma main à couper ! C’est un homme occupé, maintenant. Il n’est plus celui que nous avons connu… »
Abdel acquiesça avec amertume. Mahdi ne croyait pas si bien dire ! La nostalgie n’eut pas le temps de les submerger qu’Alain arriva en trombe.
« Mille excuses, je suis à la bourre !
Mahdi : – A la bonne heure ! Abdel se désespérait… »
Des fêtards de la jet set interrompirent ces salutations balbutiantes. Le Sha’dwich représentait pour les nightclubbers branchés le prélude exotique augurant d’une soirée réussie au Chamois, où la jeunesse bien née venait humer avec une fascination superficielle l’odeur sulfureuse de la racaille. Mahdi accorda l’exclusivité de son attention à cette promesse d’un chiffre d’affaires positivement arrondi. Se sentant de trop, Abdel s’énerva.
« Viens, on dérape dans la cuisine… »
De nouveau à son aise loin des snobs et de leur flatulence morale, il posa sur une assiette les sandwiches poulet sauce tandoori, la recette préférée du trio, celle qui avait établi le succès du Sha’dwich.
Alain : – J’ai pas passé mon week-end à M*** pour des clopinettes ! Je rapporte dans mes valises un projet qui va révolutionner l’Arc grave ! Un investisseur a tilté sur notre Fondation ! Il est prêt à sortir le pactole, des millions, man, et…
Abdel : – Y’a plus urgent, tu crois pas ?
Alain : – Qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait que je te prends la tête ! T’as plus la tête à…
Abdel : – C’est toi qu’as d’autres priorités, en ce moment !
Alain : – Qu’est-ce qui tourne pas rond ? Explique-toi !
Abdel : – Toi !
Alain : – Je… je capte plus…
Abdel : – Et moi ? Faut dire, avec toi, c’est pas facile !
Alain : – Où est le blème ?
Abdel : – Le blème ? TU as un problème !
Alain : – Je vois pas de quoi tu causes… C’est quoi, cette parano ?
Abdel : – Vas-y, fais pas le naze, je suis pas ton daron, ni un saint ! T’as dépassé certaines limites, tu crois pas ?
Alain : – Ecoute, je ramène le casse du siècle et…
Abdel : – Arrête ta mytho de charclo, gadjo ! Moi, je suis ton tepo, j’y vais franco, sinon on sortira jamais du blèmepro. Alexandra Kazan, ça te dit quel topo ? »
A son nom, Alain se décomposa. Perdu pour perdu, il était préférable d’avouer le superflu pour mieux escamoter l’essentiel.
« C’était sous la pression ! Une erreur à la con ! J’avoue mes péchés !
Abdel : – T’as tout foutu en l’air ! Et c’est pas tout… Comment on fait, maintenant, pour la Fondation ?
Alain : – Aucun souci, tu flippes pour tchi ! Sur ma tête ! Fais-moi confiance, bordel ! C’est quand même pas une gonzesse qui va nous faire flancher… »
Au lieu de l’écouter, Abdel s’affaissa. Désormais, le poulet pouvait refroidir, le tandoori serait toujours trop amer. Alain, en croyant se défendre, l’avait enfoncé dans sa propre culpabilité. Il n’eut pas l’air de s’en rendre compte et s’emberlificota dans des justifications tirées par les cheveux. Sans le savoir, il avait tapé dans le mille.
Alain : – Tu comprends, depuis la grossesse, Betty a plus autant besoin de sexe… Moi, j’étais pas préparé aux regards des meufs, la thune et tout ! Quand une bombasse t’allume, c’est plus fort que toi, t’es humain ! Maintenant, j’ai honte, je sais plus où me mettre… »
Il se contint pour ne pas éclater en sanglots. Ce déballage intime résonna chez Abdel comme l’écho sardonique et sordide à ses propres faiblesses.
Abdel : – Si c’était que ça… »
Il faillit ajouter : « Je sais ce que c’est ! ». Alain ne lui en laissa pas le temps.
Alain : – Betty est un ange, tout est de ma faute…
Abdel : – Et tes deales ? »
Alain crut qu’Abdel faisait allusion à sa cocaïnomanie. Il ne trouva rien de mieux à opposer comme démenti qu’un sourire aussi niais que farouche. Pareille confession aurait constitué l’aveu de trop.
Alain : – Qu’est-ce tu chantes ?
Abdel : – Comme si t’étais pas au courant !
Alain : – Vraiment, je te jure que je vois pas de quoi tu veux parler…
Abdel : – Dans ce cas, prépare-toi à déguster : t’as les RG au train ! Ils ont leurs raisons, et pas qu’une ! Déjà, c’est qui, ce Pavlovitch ? Je sais même que Pelletier l’a rencontré plusieurs fois et que tu l’as reçu… Chapeau pour ces fréquentations cheloues ! Tu leur diras quoi, aux RG, quand ils auront ta bobine en garde à vue ?
Alain : – Les RG ? »
Il tombait des nues.
Abdel : – Atterris, pingouin ! C’est la fin de la piste ! T’es convoqué en janvier pour t’expliquer ! Qu’est-ce qu’elle devient dans ce delbor, la Fondation ? T’imagines le temps qu’on a bossé, l’investissement, et tout et tout ?
Alain : – Il est où, le problème ? Pavlovitch, je le connais juste comme un investisseur. Le contrat de partenariat qu’on a signé ensemble repose sur des bases 100% légales ! Les RG peuvent rappliquer, j’ai rien à me reprocher ! Pour l’Arc, un investisseur est prêt à aligner trois millions.
Abdel : – Qu’est-ce tu dis ? »
Alain profita de l’étonnement d’Abdel pour faire diversion.
Alain : – Tu crois que j’ai été me trimballer à M*** pour les beaux yeux de la F1 ?
Abdel : – Arrête ton char, t’en es accroc jusqu’à la mœlle !
Alain : – Je te demande pardon, j’avais rencard pour la Fondation ! »
Devant son air indigné, Abdel renifla, indécis.
« T’es en train de me dire que la Fondation ouvrira sans faute ? Quoi qu’il arrive ?
Alain : – Les bâtards derrière ces ragots… Tu piges pas le malaise ? On me fait payer mon engagement aux côtés des opprimés et vous, vous tombez dans le panneau ! »
Abdel baisse la tête en signe de contrition.
Abdel : – Avec Jeannot, on savait pas, on était à l’ouest ! On s’est dit qu’y fallait que tu saches.
Alain : – Toi, tu m’as suspecté ?
Abdel : – Man, l’enquête venait des RG…
Alain : – Comment t’as pu consulter un rapport des RG ? C’est pas le genre de ketru qui traîne sur un banc public !
Abdel : – Je peux pas te dire. J’ai juré devant Dieu de garder le secret ! »
Alain recracha son dernier morceau de poulet et prit un ton affecté et cérémonieux.
« Toi, tu cacherais les fatches qui crachent sur ma chetron dans le dos ?
Abdel : – Vas-y, dis pas n’imp’!
Alain : – Parce que je délire en plus ?
Abdel : – On fait comment pour te cracher sur la gueule dans le dos ? »
Alain éluda cette question de logique élémentaire.
Alain : – Pour la confiance, les gars, chapeau, z’êtes en dessous de tout, c’est moi qui vous le dis !
Abdel : – T’enflamme pas, on a juste cru que t’étais cécoin dans une galère de ouf ! On voulait te tirer les vers du nez !
Alain : – Pas de bile, vieux ! Je reconnais mes conneries passées. Maintenant, je suis un mec clean à 200 % ! T’en dirais autant, toi ? »
Abdel avala péniblement sa salive.
Alain : – J’ai retenu la leçon : je tromperai plus Betty et je cèderai plus aux sirènes du système. Ce qui me fait ièche, c’est que t’as cru que j’allais bazarder la Fondation ! C’est ma life qu’est dedans, t’es ouf dans ta tetè ? »
Abdel éclata de rire.
« Comme tu le dis, ça va mieux ! Tu peux pas t’imaginer comme j’ai flippé ma race ! Putain, je savais plus à qui j’avais affaire… Les doubles cefas, ça fait péfli !
Alain : – Franchement, tu me vois fricoter avec la mafia ? Les RG ou les keufs peuvent rappliquer, je les recevrai de pied ferme. Je te le dis, moi ! »
Abdel se sentit terriblement embarrassé. Non content de s’être fourvoyé, ses reproches à l’encontre d’Alain se retournaient contre sa personne avec l’effet cinglant et retors du boomerang. Ne restait plus qu’à recoller les morceaux.
« J’appelle Jeannot et je lui explique l’embrouille !
Alain : – Désolé, je dois m’éclipser sans plus tarder… »

Le Chamois, Clairlieu, 23 heures.

« Sommes-nous prêts, oui ou non ? »
Juliette de Malebrac dégoulinait de morgue obséquieuse. Sa maquilleuse s’affairait pour lui prodiguer tant bien que mal, et plus mal que bien, la pâle compensation de son élégance déficiente. Le cadreur lança le compte à rebours.
« Cinq secondes... »
Mue par le sentiment de son importance audiovisuelle, elle réajusta en dernier recours sa mèche, prête à arroser de son babillage goulu le spectateur avide.
« Chers téléspectateurs, vous vous trouvez en direct du Chamois. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Mondanités consacre sa quinzaine hivernale à la découverte de cette discothèque dont le patron emblématique, Alain Méribel, distille en ce lieu historique une authenticité en total décalage avec le batifolage parisien. Au bord des pistes, rire et bonne humeur montagnarde sont de mise. »
Joignant l’image à la parole, le cameraman s’empressa d’exhiber en témoignage d’authenticité les spécimens de postérieurs les plus affriolants qui se trémoussaient sur la piste avec une complaisance avantageuse.
« Une interview nous permettra d’appréhender au plus près la personnalité de ce patron pas comme les autres, ce cœur altruiste qui brûle de changer le cours du monde. Ce n’est pas un hasard si la ravissante Violetta, l’épouse du célèbre milliardaire suisse Laurent Eichmann, et son amie Yasmina Worda, la diva libanaise que l’on ne présente plus, ont choisi l’antre des réjouissances de la haute montagne pour organiser leur Grande Tombola en faveur des Enfants du Liban. »
La camera centra le gros plan sur une brune à la fraîcheur vivifiante.
« Violetta, pour ceux de nos auditeurs qui ne vous connaîtraient pas encore, vous êtes la fille du grand banquier Pietro Guardelli, une légende de la haute finance. Nos téléspectateurs seraient ravis de prendre part à la magie de votre rencontre avec le célèbre Eichmann.
Violetta : – Nous nous sommes rencontrés dans une galerie d’art à Florence. Laurent est amoureux de Botticelli, tout comme moi…
Malebrac : – Comme nos téléspectateurs peuvent le constater, vous n’êtes pas seulement ravissante, votre âme recèle les perles du romantisme le plus pur. Votre mariage n’est vraiment pas banal. Faites-nous profiter de votre histoire…
Violetta : – Je vais vous faire une confidence : les artistes m’inspirent avec une intensité que nul ne peut concevoir ! Quoi de plus étonnant ? Ma jeunesse fut bercée de la mélopée enivrante de l’opéra italien… »
Elle s’appliquait à préserver dans l’impeccable déroulement de sa diction châtiée une fine pointe d’accent piémontais.
Malebrac : – Rappelez-nous le sujet de votre thèse en histoire de l’art soutenue à l’Université de Bologne ? »
Par pure convenance, Violetta se rebiffa, fière d’exhiber ses titres universitaires.
« Je ne suis pas ici pour rappeler mes modestes titres ! Yasmina vous expliquera plutôt le fonctionnement de notre soirée-tombola.
Malebrac : – Vous me faites frémir d’avance : vous êtes si délicieuse ! La voici justement qui arrive ! »
Léger contre-braquage. La diva inspira longuement, comme si elle était sur le point de se lancer dans un récital inoubliable.
« Lorsque l’Association pour les Enfants du Liban m’a contactée, je n’ai pas hésité une seule secooonnde !!! Il est si natureeel de mettre sa notoriété au service d’une cause nooooble quand on a la chaannce d’appartenir aux privilégiééés ! Dieu m’a fait don d’une Voooix ! Il était normaaal de renvoyer l’ascenseur ! Pour l’organisation, je savais compter sur la générosité sans faille d’Alain Méribel.
Malebrac : – Cette précision tombe à pic pour notre transition. Après la page de publicité, nous découvrirons en effet la personnalité exceptionnelle de ce patron au grand cœur et à l’engagement constant en faveur des opprimés. Ici Juliette de Malebrac, pour Chic TV ! »
A la table d’honneur, Eichmann paradait en compagnie de son vieux complice Axelos, le mari de Yasmina Worda, la plus fieffée crapule que les conseils d’administration aient engendrée. Luc et Helena, en retrait, brûlaient secrètement de les rejoindre dans leur réussite pécuniaire.
Eichmann : – L’excellent champagne nous console d’ores et déjà de la défection télévisuelle de nos femmes…
Axelos : – Les bulles sont nuisibles à la bonne marche du système nerveux.
Eichmann : – Décidément, Constantin, vous ne changerez jamais ! Quand vous amuserez-vous ? Dans la tombe ? »
Vexé, le Grec se claquemura dans les tourments bilieux de son humeur de cacique misanthrope. Pour ne pas se retrouver seul, Eichmann se rabattit sur Luc.
Eichmann : – Serais-je devenu si vieux que vous ne me reconnaissiez pas ? Votre père me fut, dois-je le rappeler, une vieille connaissance !
Luc : – Je n’osais vous interrompre…
Eichmann : – Quelle exquise attention ! Comment se porte l’héritier de la famille Méribel ?
Luc : – L’appellation est quelque peu présomptive !
Eichmann : – Allez ! Comme si votre frère appartenait à l’Establishment ! Croyez en mon expérience, il est certains signes qui ne trompent pas. Les décideurs ont toujours discerné lequel des deux frères façonnait un groupe digne de ce nom… »
Aux premières loges, Helena buvait du petit lait. Sur la piste, un top model divertit l’attention fluctuante d’Eichmann.
« Auriez-vous remarqué la délicieuse silhouette de cette jeune femme qui folâtre sur la musique ? »
Helena fronça les sourcils, choquée de cette entaille aux bons principes.
Axelos : – Voyons, Laurent, à votre âge…
Eichmann : – Allons bon, le diable est encore vert !
Luc : – Jessica Lenoix !
Eichmann : – Selon certaines voix, elle en pincerait pour les beaux yeux de l’héritier de la Couronne qatarie…
Axelos : – En voilà au moins un qui ne perd pas son temps !
Helena : – Je le trouve d’un laid !
Eichmann : – Vous êtes trop dure ! Tout le monde n’a pas la chance d’avoir marié un homme de la trempe de Luc !
Axelos : – Elle l’aime peut-être pour son je-ne-sais-quoi…
Helena : – Au moins est-elle présente ! Ce n’est pas comme ma belle-sœur qui n’a même pas pris la peine de se déranger…
Luc : – Si Betty tient en horreur les mondanités, il s’agit de son droit le plus strict !
Helena : – Me crois-tu frivole au point de me commettre avec les écervelées de la jet set ? Je n’ai fait le déplacement que pour les orphelins du Liban ! »
Son grain d’irritation déterra son accent australien. Eichmann s’amusa à souffler sur les braises.
« Luc, votre attention grand seigneur vous perdra, prenez garde ! Votre femme a raison. La télévision ne tient pas lieu de curriculum vitae…
Axelos : – J’espère que les ragots qui courent sur son compte ne sont que de viles rumeurs…
Eichmann : – En tout cas, il s’amuse comme un petit fou !
Luc : – Mon frère est demeuré un grand enfant. »
Eichmann l’entreprit à part.
« Le véritable patron serait Pelletier…
Luc : – C’est tout à fait exagéré ! Mon frère a su s’entourer, c’est un signe qui ne trompe pas.
Eichmann : – Allons, Luc, pas de ça avec moi ! Sans Pelletier, que serait devenu le Chamois ?
Luc : – La générosité de mon frère se situe au-dessus de tout soupçon !
Eichmann : – Dieu l’a récompensé ? »
En temps normal, ce blasphème aurait indigné Helena. Mais sous l’impulsion de sa religion véritable, l’Argent, elle tint sa langue.
Eichmann : – Alain se sert du Chamois à des fins dévoyées. Rien que d’y penser, j’en suis malade !
Luc : – Les lois du partage m’interdisent de me plaindre !
Eichmann : – Tôt ou tard, vous récupérerez votre part usurpée ! »
Le chahut les interrompit. Alain venait de faire son entrée sous les ovations de la clientèle. Alain le populaire, Alain le généreux, Alain le tiers-mondiste… Devant le succès que suscitait son apparition, Helena frémit de rage. Malgré son empressement, il fit le détour pour saluer Luc.
Alain : – Tout va pour le mieux ?
Luc : – Cette soirée se révèle une somptueuse réussite !
Alain : – Malebrac m’attend. Je suis déjà en retard !
Luc : – Qu’est-ce que tu fabriquais ?
Alain : – Je mangeais un morceau avec Abdel… Au Sha !
Luc : – Je vois… Toujours tes fréquentations douteuses ! Tu ne changeras décidément jamais ! »
Alain ne releva pas. L’envie de s’attarder à la table d’honneur ne le dévorait pas. Helena avait même eu l’impudence de ne pas le saluer. Il n’eut pas le temps de s’appesantir sur cet accueil glacial que Pelletier le cueillit au vol.
« Urgence ! »
Eichmann, qui n’avait pas perdu une miette de la scène, se tourna vers Luc.
Eichmann : – Que vous disais-je ? »
Luc baissa les yeux. Alain était loin. Près de la piste aux étoiles ?
Pelletier : – Eichmann et Helena n’ont cessé de déblatérer contre vous. Vous devriez vous méfier, le jeu de votre frère n’est pas net !
Alain : – Que voulez-vous dire ? »

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